Strasbourg, le 14 décembre 2005

Prix Sakharov 2005 /

Chaque année depuis 1988, le Parlement européen couronne des personnalités ou des organisations qui ont marqué de leur empreinte le combat en faveur de la liberté de pensée dans leur pays par l’attribution du prix Sakharov. A l’instar du dissident soviétique, le prix récompense des femmes et des hommes qui se sont employés à lutter contre l’oppression et l’injustice. Le prix accorde une prime de 50.000 euros.

Cette année, la lauréate Hauwa Ibrahim, proposée par Bernadette Vergnaud, députée européenne, membre de la commission des femmes et de l’égalité des genres au parlement européen, qui s’est toujours battue en faveur de l’égalité et contre toute forme de discrimination, partagera le prix Sakharov avec l’organisation Reporters sans Frontières et l’association cubaine, les Dames en blanc.

Hauwa Ibrahim : une femme que tout le monde connaît sans savoir son nom. La planète a vu des images de sa cliente assise à même le sol avec son enfant dans les bras attendant d’être mise à mort par lapidation pour avoir enfanté hors mariage. Le tout dans un pays dont la constitution contient pourtant une charte des droits fondamentaux ayant inspiré la majorité des pays africains membres du Commonwealth et qui partage en partie ses sources avec la Charte canadienne. Le pays est le Nigeria, et la cliente était Amina Lawal.

L’attribution du prix Sakharov à Hauwa Ibrahim est « une victoire pour les droits humains et une victoire pour les droits des femmes car  elle redonne un droit à l’existence et à la dignité à des êtres humains démunis et bafoués dans leurs droits les plus élémentaires« , se félicite Bernadette Vergnaud.

Hauwa Ibrahim, unique avocate nigériane opposée à la Charia, s’est forgé une spécialité peu ordinaire : défendre les femmes condamnées à la mort par lapidation. Dans les Etats du Nigeria qui appliquent la loi islamique, l’adultère est passible de la peine capitale. Musulmane elle-même, Hauwa Ibrahim mène sans relâche le combat contre l’intégrisme religieux. Bénévolement et malgré les intimidations.

Hauwa Ibrahim n’a pas le droit de plaider elle-même devant les cours de justice islamiques : elle est femme. Ses confrères prennent donc la parole à sa place.

Musulmane, elle est accusée d’avoir trahi sa religion. Le Nigeria n’a pas de religion d’Etat. Ses 36 Etats sont laïques. Tout citoyen a le droit à la défense devant un tribunal. C’est la Constitution qui le dit. Hauwa Ibrahim veut qu’elle soit appliquée et elle ose interroger de vive voix les autorités de son pays sur la constitutionalité de l’application de la Charia.

Les avocats musulmans, une minorité, ne cherchent pas particulièrement à subir son sort: des harcèlements, des coups de téléphone menaçants, des tracts insultants et aussi une accusation formelle de diffamation de l’autorité judiciaire.

Hauwa Ibrahim a 37 ans, elle a deux enfants. Elle est née dans un village de 2000 habitants, sans eau courante ni électricité. La carrière d’avocat ne devait pas faire partie de sa destinée. Son éducation devait s’achever à l’école primaire, son mariage était arrangé lorsqu’elle avait 12 ans. Elle a financé ses études elle-même.

Aujourd’hui, elle sait très bien que la meilleure défense des plus démunis passe par l’éducation. La pauvreté et l’analphabétisme vont de pair, l’intégrisme se nourrit de l’obscurantisme.

C’est en ce sens qu’Hauwa Ibrahim a exprimé ses tous premiers mots à Bernadette Vergnaud : »A travers cette récompense, le Parlement européen et vous même, Mme Vergnaud, vous n’avez pas seulement élevé la problématique de la violation des droits humains et le respect de la dignité humaine dans le Nord du Nigéria, vous avez également rendu la parole, le pouvoir et l’espoir  aux plus démunis et permis à toutes ces personnes de se défendre. Ce prix demeurera à jamais dans les cœurs des populations marginalisées que je représente« .

Lors de son discours qu’elle a prononcé aujourd’hui au cours de la cérémonie officielle, Maître Hauwa Ibrahim a remercié l’ensemble des parlementaires européens pour l’avoir écoutée et accueillie aussi chaleureusement.

Le prix Sakharov, elle l’investira totalement dans l’éducation car c’est selon elle « la seule façon d’avancer (…). C’est donner un pouvoir aux analphabètes« . Puis, elle a exposé sa stratégie qui peut se résumer ainsi « nous agissons localement, nous pensons globalement« .

Aujourd’hui, conclut-elle, « j’ai une voix plus forte. Le Parlement européen me soutient et plus encore, les populations pauvres pourront enfin sentir la liberté  (…). J’ai trouvé dans le Parlement européen beaucoup d’humanité, de passion pour continuer« .