Le débat autour de la dette grecque doit marquer une étape critique dans les annales de la gouvernance économique européenne. Au rythme où vont les choses, il pourrait s’agir d’une occasion manquée : au lieu de considérer que nécessité fait loi pour exercer la solidarité européenne et créer enfin une forme de gouvernement économique, le Conseil et la Commission acculent le gouvernement et le peuple grecs au mur. Certains propos sur le laxisme grec opposé à la rigueur allemande laisseront des traces…

Les tergiversations autour de la mise en place d’une forme d’emprunt européen ont déjà fait apparaître pour certains le Fonds monétaire international (FMI) comme prêteur de dernier ressort, ébranlant ainsi les fondements mêmes de l’Union économique et monétaire (UEM).

Et lorsque l’on se retourne vers l’Union européenne, c’est la Banque centrale européenne (BCE) qui semble s’imposer comme l’institution crédible. Aujourd’hui, si l’ensemble des gouvernements ne prennent pas leurs responsabilités, le déséquilibre que nous constatons entre le pilier économique et monétaire de l’UEM pourrait être encore aggravé au profit de l’union monétaire.

La question grecque est européenne puisqu’elle signe l’échec du pacte de stabilité et de croissance comme outil de gouvernance de la zone euro. Il a laissé les divergences de productivité croître entre Etats membres, n’a pas permis à la zone euro d’atteindre sa croissance potentielle, n’a pas protégé les économies qui l’ont appliqué à la lettre (l’Espagne), n’a en rien évité la situation grecque et a permis d’éluder un débat sur les stratégies non coopératives de certains membres de la zone euro. Sa version révisée en 2005 devait renforcer son caractère préventif et mettre l’accent sur le critère de la dette…

La question de la soutenabilité des finances publiques est essentielle et les Grecs doivent mettre de l’ordre dans ce domaine, faire preuve de responsabilité. Mais ce qui se passe aujourd’hui en Grèce est une véritable attaque spéculative qui concerne toute l’Europe. Nous assistons à la troisième phase du grand krach : après le déclenchement d’une crise de liquidités le 9 août 2007, la chute de Lehman Brothers et une crise de solvabilité du système bancaire le 15 septembre 2008, le 5 février marque l’apparition d’une crise de solvabilité d’Etat. C’est parce que nous n’avons toujours pas remis les marchés financiers à leur place que les spéculateurs peuvent aujourd’hui attaquer la Grèce.

Pour les dirigeants européens qui n’ont eu de cesse de clamer leur volontarisme à moraliser les marchés, c’est le moment d’agir.

Les ministres des finances de la zone euro ne peuvent pas contraindre la Grèce sans l’aider. Ce qui a été fait pour des Etats en dehors de la zone doit être possible en son sein. L’idée qu’un pays de la zone euro ne puisse bénéficier du même type d’aide repose sur l’idée qu’un Etat appartenant à la zone euro n’a plus à être protégé de la pression des marchés sur sa balance des paiements. Mais l’attaque dont la Grèce est victime à travers l’intervention des agences de notation de crédit et des marchés rétablit cette exposition spéculative.

Nous proposons, sur la base de l’article 122 du traité de Lisbonne, la mise en place d’un mécanisme de stabilité financière géré par la Banque européenne d’investissement (BEI) afin de venir en aide aux Etats membres de la zone victimes d’attaques spéculatives. Ce serait la première étape vers la construction d’un marché européen de la dette souveraine qui permettrait à la zone euro d’être un espace aussi attractif pour les capitaux étrangers en quête d’investissements que le marché américain.

Ensuite, le peuple grec ne peut pas être appelé à faire des efforts considérables, pendant que Goldman Sachs continue à vendre tranquillement des CDS (credit default swaps) en Europe, où aucune transparence n’existe puisqu’il s’agit d’acteurs uniquement sous l’autorité des Etats-Unis.

La situation actuelle appelle à des actions immédiates : l’interdiction des ventes à découvert, en particulier des CDS, et la possibilité pour la future autorité européenne de supervision des marchés financiers de prendre ce type de décision. Cette interdiction doit s’accompagner de l’ouverture d’une enquête sur les conflits d’intérêt de la banque d’investissement Goldman Sachs. En tant qu’autorité de la concurrence, la Commission a les pouvoirs en main pour agir. Aujourd’hui, seule la Réserve fédérale américaine (FED) a annoncé devant le Congrès américain vouloir se pencher sur cette question.

La France est coupable de l’état de ses finances publiques, largement lié à des cadeaux fiscaux faits de manière inconsidérée par l’actuel gouvernement.

La coalition au pouvoir en Allemagne est coupable de penser qu’elle pourrait prospérer seule avec une stratégie d’exportation alors que ses partenaires seraient malades. L’Union économique et monétaire ne survivra pas à de tels égoïsmes.


Pervenche Berès est présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen ;

Poul Nyrup Rasmussen est président du Parti socialiste européen, ex-premier ministre du Danemark (1993-2001).