par Catherine Trautmann, Présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen

La délégation socialiste française au Parlement européen a voté contre l’investiture du Collège des commissaires proposé à l’approbation de l’assemblée le 9 février dernier. Les raisons qui ont amené le Parlement à se prononcer en faveur du Collège des commissaires répondent à des impératifs institutionnels. Nous considérons que la Commission européenne doit porter un projet politique.

La légitimité des politiques élaborées au plan communautaire a toujours reposé sur une tension entre deux vecteurs opposés mais complémentaires : la dynamique fédérale et l’ancrage démocratique national. Dans ce cadre, validé par les mécanismes électoraux propres à chaque niveau de décision, la Commission européenne est le garant de l’intérêt général communautaire et a, selon les Traités, l’initiative des lois. Elle est la messagère et le moteur de l’avancée fédérale, en opposition au Conseil européen, qui représente le juste intérêt des Etats. Or, le début des années 2000 a consacré le retour des Etats dans la construction européenne, et les décisions sont souvent issues d’équilibres complexes entre ceux-ci, au détriment parfois de la nécessaire définition de notre projet commun. La Commission est donc un organe affaibli.

La Commission Barroso II a reçu le même mandat que la Commission Barroso I. Jose Manuel Barroso, président de circonstance, a fait le choix très clair de ne pas aller à l’encontre du Conseil. Il lui doit en effet sa reconduction au poste de leader de l’exécutif communautaire, et a, durant la précédente législature, entériné les marchandages entre égoïsmes nationaux sans jamais proposer aucune vision, ou même un projet d’ampleur, qui soient à même de répondre aux défis qui s’imposent à l’Union européenne. C’est d’ailleurs la raison de son maintien dans les fonctions pourtant capitales qu’il occupe. Ne pas faire d’ombre au pouvoir législatif, lorsque l’on dispose du pouvoir d’initier les lois, est la voie la plus sûre pour ne pas déranger les Etats. Ces derniers semblent d’ailleurs plus enclins à calculer les gains et les coûts engendrés par l’Union européenne qu’à se poser la question de la réponse concertée à des problèmes globaux, comme on peut le constater à chaque débat budgétaire.

Monsieur Barroso, au milieu d’un monde secoué par les crises financière, énergétique, alimentaire et climatique, agrémentées par ailleurs d’une défiance sans précédent dans l’opinion publique pour la classe politique et le Politique en général, s’est contenté d’être le plus petit dénominateur commun aux solutions nationales. Au-delà des désaccords idéologiques majeurs qui nous séparent, l’actuel Président de l’exécutif est sans conteste à l’origine d’un essoufflement de la Commission européenne en tant qu’entrepreneur innovant de politiques publiques. Ce constat amène une question gênante : M. Barroso, dont on peut dire sans crainte de se tromper qu’il est ultralibéral, servirait-il son projet politique premier en tentant de démontrer que l’intervention publique, quelle qu’elle soit, est forcément inopérante ?

C’est la raison pour laquelle la délégation socialiste française avait décidé, le 16 septembre dernier, de ne pas voter en faveur du candidat Barroso au poste de Président de la Commission européenne.  Six mois plus tard, le 9 février dernier, après avoir auditionné les candidats au poste de commissaires européens et en avoir déduit que leur mandat, à quelques exceptions près, répondrait aux mêmes impératifs, nous avons, en conscience, décidé de voter contre cette Commission européenne dans son ensemble.

Ces deux refus nous coûtent cher, d’un point de vue politique. Ils sont parfois perçus comme l’affichage d’un antagonisme systématique au sein d’une formation politique qui a largement voté en faveur de la Commission européenne et ce, au nom de la bonne marche institutionnelle. A droite, on nous reproche de nous tromper de combat en nous comportant comme une force nationale d’opposition alors que la complexité du processus décisionnel communautaire imposerait de facto une attitude de compromis. En somme, et si l’on suit la logique de nos détracteurs, nous serions condamnés à être le second groupe politique sans pouvoir jamais bâtir d’opposition constructive.

Nous n’entendons pas céder au fatalisme, car nous croyons que des alternatives solides existent. Le Parlement, fort des pouvoirs que lui confère le Traité de Lisbonne, est capable de constituer un formidable contre-feu au Conseil et à la Commission européenne, mais aussi de devenir une force de proposition. Quelques exemples suffisent à convaincre que le combat n’est pas perdu d’avance, bien au contraire.

Le Parlement est désormais totalement codécideur en matière agricole. Les travaux de certains de nos camarades ont permis d’élaborer des propositions politiques crédibles pour maintenir une exigence élevée de production sur le sol européen sans affamer les pays du Sud.

De la même façon, l’assemblée est placée à égalité avec le Conseil en matière de définition de la politique économique de l’Union. Au moment où la crise est la plus forte pour l’ensemble de la population européenne, nous devons être capables d’arrêter une stratégie de réponse commune de croissance et d’avancer vers la constitution d’une gouvernance économique de l’Union plus juste et plus protectrice. Les socialistes y travaillent depuis la législature précédente. Des textes existent, nous devrons construire des majorités pour les faire adopter.

Dans le domaine environnemental, nous portons l’idée d’une taxe sur les transactions financières visant à financer les politiques de lutte contre le changement climatique. Si les Etats membres ne sont pas prêts à consacrer une partie de leurs ressources à ces politiques essentielles, nous devons trouver les moyens là où ils sont. La droite européenne a, lors du vote sur les suites à donner au sommet de Copenhague, réussi à enterrer notre amendement. Nous n’abandonnerons pas.

Le Parlement de Strasbourg, seule Institution dont les pouvoirs n’ont fait que croître depuis sa création, a désormais la faculté et le devoir de façonner le projet européen. Les socialistes, au sein de ce Parlement, doivent garantir aux citoyens européens des politiques publiques redistributives et un développement concerté.

Nous n’avons pas gagné la bataille de l’exécutif, mais nous avons le pouvoir législatif en main. La politique européenne n’est plus une question institutionnelle : les règles du jeu sont maintenant clairement établies et la lutte peut commencer. L’avenir de l’Union, c’est une responsabilité que nous partageons. Les socialistes pèseront donc de tout leur poids pour faire entendre leur voix dans l’hémicycle et dans la loi.