On connait le résultat du vote du Parlement européen qui a décidé d’exclure les secteurs de la Culture et de l’audiovisuel des négociations du traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Le député européen français Henri Weber a voté pour. Il nous explique pourquoi.
Henri Weber, député européen (PS)
ARTE Journal : Le 23 mai dernier, le Parlement européen, par un vote clair, a exclu les secteurs culturel et audiovisuel des néogciatins sur le traité de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis. Quels sont selon vous, les enjeux de ce débat ?
Henri Weber : Il y a deux niveaux. Le premier c’est celui de l’avenir du cinéma et de l’audiovisuel en France. Parce que les objectifs des géants de l’internet et de l’audiovisuel américains sont bien connus. J’étais déjà rapporteur pour la révision de la directive « télévision sans frontières » en 2007 et leur objectif était clair. Ils sont prêts à nous dire : « vos mesures de protection, de subvention, de prélèvement, nous sommes d’accord pour les accepter au nom de l’exception culturelle mais pour les anciens médias c’est à dire pour la télévision en ligne, celle qui trône dans le salon, et pour le cinéma. Mais en revanche, pour les nouveaux services, la vidéo à la demande, la télévision de rattrapage, disponibles sur les nouvelles plateformes, les nouveaux supports comme les tablettes, les smartphones ou les ordinateurs, alors là il ne faut ni réglementation ni taxation. » Ils nous expliquaient qu’il ne fallait pas réglementer un secteur en pleine éclosion et taxer des industries dont on ne connaissait pas la future évolution.
Ce qui compte, ce sont les contenus
Ils voulaient la déréglementation et la libéralisation de l’audiovisuel et du cinéma du futur et laisser aux Européens une satisfaction symbolique concernant la télévision et le cinéma tels que nous les avons connus au siècle dernier. Nous avons repoussé cette offensive en 2007 en disant, au nom du principe de neutralité technologique, peu importe le service, peu importe le support, ce qui compte ce sont les contenus. Les réglementations et les contributions au financement du cinéma et de l’audiovisuel valent et pour les services et pour les nouveaux médias sous des formes spécifiques. Aujourd’hui ils veulent revenir à la charge. Alors l’enjeu, c’est de les en empêcher. Et comme il semblerait que c’est plus encore la Commission européenne que les américains qui était demandeuse, c’est doublement scandaleux.
ARTE Journal : Justement, quel va être selon vous la portée de ce vote dont on sait qu’il est facultatif ?
Henri Weber : Ce n’est pas neutre et surtout, il donne des arguments aux Etats. Il y a 14 ministres de la Culture qui ont signé la lettre initiée par Aurélie Filippetti et le 14 juin les ministres chargés du Commerce vont se réunir et là, la France peut tout à fait poser son véto à l’ouverture de négociations si elle n’obtient pas satisfaction sur ce point, sachant que le parlement français, à l’unanimité, a voté une résolution en ce sens et que le Parlement européen, à une énorme majorité, a voté dans le même sens. Donc il faut quand même que les chefs d’Etat et de gouvernement tiennent compte des volontés exprimées.
La logique du donnant donnant
ARTE Journal : A propos de cette lettre, signée par 14 ministres de la Culture, comment expliquer que l’on se retrouve aujourd’hui avec une Europe plus ou moins scindée en deux ?
Henri Weber : Hé bien, parce qu’il y a toute une série de pays qui est d’accord avec les américains. Des pays qui n’ont plus de cinéma, ils n’ont pas d’industrie cinématographique à défendre et à financer. Quant à l’audiovisuel, ils considèrent que pour ce qui est de l’affirmation de l’identité nationale, les séries suffisent. Ils ont constaté que les séries nationales réalisent une énorme audience et ils peuvent s’affirmer dans ce créneau. D’autres considèrent que tout cela, ce sont des lubies françaises et qu’on peut tout à fait faire des concessions dans une négociations avec les Etats-Unis moyennant des avancées dans d’autres secteurs comme les transports ou l’agriculture. Ils sont prêts à mettre sur la table un secteur qui tient beaucoup à coeur aux américains et depuis longtemps, pour avoir des contreparties ailleurs.
Le nain et le béret
ARTE Journal : Pour vous et en forçant le trait, est-ce que ça ne reviendrait pas finalement à sacrifier la Culture et l’audiovisuel sur l’autel de la croissance ?
Henri Weber : On peut le dire comme ça mais c’est surtout mettre en péril le système de financement du service public de l’audiovisuel en Europe, parce qu’il n’existe pas qu’en France. Il existe en Allemagne, en Grande-Bretagne et même s’il est en piteux état, en Espagne et en Italie. Donc le premier enjeu de cette affaire c’est exclure, comme l’a toujours fait la Commission européenne dans ces accords commerciaux, le secteur des services audiovisuels et culturels du centre de la négociation y compris dans les derniers accords avec le Japon.
Il y a un autre enjeu. Cela montre que les Européens sont déterminés à faire valoir leurs préférences collectives, leurs choix et qu’ils ne sont pas du tout prêts à s’aligner sur le modèle de civilisation américain. Pour moi, dans la négociation qui va s’ouvrir et qui va être très difficile, c’est une manifestation de détermination. L’Europe est la première puissance économique et commerciale du monde mais parce que nous sommes divisés en 27 Etats pas très souvent d’accord, nous sommes perçus comme un nain politique qui s’adresse respectueusement au géant américain le béret à la main. Non, si on entre dans une négociation en position d’infériorité, elle va mal finir. Il faut d’entrée de jeu marquer notre détermination pour défendre nos modèles et nos préférences collectives.
Interview réalisée par Yannick Cador