Relancer l’économie et éviter le retour des crises financières grâce à une taxe visant le secteur financier : une idée enfin rendue possible grâce aux socialistes. La Commission européenne, qui clôt sa consultation sur ce sujet, doit désormais s’en emparer sans attendre.
La crise a révélé les dysfonctionnements d’un marché déréglementé et aux prises avec des logiques court-termistes de recherche du profit. Les propositions politiques des socialistes en matière économique et financière ont un objectif clair : réintroduire une régulation pour garantir la meilleure allocation possible des ressources, mettre l’épargne au service de l’investissement à long terme et de l’économie réelle plutôt que de la seule rente, et en finir avec le capitalisme-casino. En un mot : moraliser la finance.
Le principe de la taxe sur les transactions financières (TTF), rappelons-le, est simple : chaque fois qu’un produit financier est acheté ou vendu, une petite quote-part (0,05 %) du prix d’achat ou de vente est prélevée sous forme de taxe. Cette dernière ne concerne que les banques et les fonds spéculatifs, et non les contribuables. L’intérêt est double. D’une part, elle amène à limiter les activités purement spéculatives, qui sont largement dommageables à l’économie réelle. D’autre part, compte tenu de la masse des transactions, le produit d’une telle taxe pourrait avoisiner un montant proche de 200 milliards d’euros par an, et ce, même si le pourcentage de cette taxe est infime.
Pour quelle finalité ? Le revenu collecté grâce à la taxe sur les transactions financières permettrait de financer des politiques de développement économique et social, plutôt que des fonds de sauvetage bancaire. Dans le contexte actuel de crise sociale et d’austérité budgétaire, elle représente une manne stratégique, indispensable et juste. Une partie de cette taxe pourrait par exemple être allouée au budget de l’Union européenne. Cette dernière disposerait là d’une nouvelle ressource lui permettant de financer ses investissements et ses politiques d’avenir (la croissance, l’emploi et l’énergie, mais aussi une véritable politique commune pour les pays de la Méditerranée) sans affaiblir la compétitivité du marché financier européen.
Les actions coordonnées contre la crise ne suffisent plus et menacent la cohésion entre les Etats membres, avec, en toile de fond, la tentation du « chacun pour soi ». Or, le budget européen doit avoir un rôle de stabilisation économique : devant l’impossibilité politique d’augmenter les contributions des Etats membres, la TTF trouve encore une fois tout son sens. C’est un acte redistributif par excellence, car on ne peut envisager une communauté de nations sans la mise en commun de ressources et de dépenses. La TTF a par conséquent deux atouts : elle permet d’imposer un partage équitable du coût de la crise avec ceux qui en sont responsables et elle matérialise une réelle volonté de créer des solidarités positives face à la pression des marchés financiers, au lieu de durcir indéfiniment les politiques d’austérité dans l’espoir de « rassurer » ces marchés.
La taxe sur les transactions financières est un instrument puissant de réappropriation par les peuples des orientations données à l’économie européenne. Pourtant, le parcours de son adoption par l’assemblée européenne fut loin d’être simple.
La taxe sur les transactions financières, défendue par le Parti socialiste européen (PSE), est une descendante de la taxe Tobin, suggérée en 1972 par le lauréat du « prix Nobel d’économie » James Tobin. En 2000, les députés socialistes au Parlement européen avaient déjà déposé une résolution qui proposait de mettre la taxe Tobin à l’étude en Europe. Celle-ci avait été repoussée de quelques voix en raison de l’opposition de la plus grande partie de la droite et de l’extrême gauche.
Le 20 octobre 2010, le Parlement européen, où la droite est majoritaire, a adopté une résolution rédigée par la députée socialiste française Pervenche Berès sur la crise économique, financière et sociale qui appelait à une introduction de la TTF au niveau européen. Le même jour, la droite européenne rejetait le principe de la création d’une ligne de ressource budgétaire sur cette matière pour l’exercice 2011, première contradiction qui montrait déjà le fossé séparant le discours des conservateurs et des libéraux et leurs actes.
Au même moment, dans le rapport d’initiative d’Anni Podimata sur les financements innovants, la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen a rejeté cette proposition, à l’initiative des libéraux et des conservateurs. Le groupe des socialistes et démocrates a en conséquence présenté un amendement pour réintroduire cette proposition phare en plénière : adoptée le 8 mars, les socialistes européens ont remporté une grande victoire sur la direction économique que devrait prendre l’Union européenne.
Mais, en dépit de cette victoire, la droite européenne persiste dans ses contradictions. La meilleure illustration en est le président de la République française, qui a fait de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières au niveau mondial l’une des priorités de sa présidence du G20 tout en refusant de voir une telle taxe instaurée au niveau européen. Au lieu de la porter dans une enceinte où elle pourrait être adoptée – l’Union européenne – le gouvernement français a choisi de défendre cette mesure dans le cadre du G20, où, en raison de l’opposition des principaux partenaires de l’Europe, l’échec de son adoption est d’ores et déjà programmé.
Nous pensons que l’Union européenne doit servir d’exemple et prouver son leadership mondial sur la question au lieu de se cacher derrière l’argument qui consiste à vouloir attendre un accord international.
C’est pourquoi nous appelons instamment la Commission européenne à faire des propositions pour la mise en œuvre d’une telle taxe au niveau européen. L’exécutif communautaire, qui a lancé une consultation clôturée au mois d’avril dernier, essuie d’ores et déjà les critiques des partenaires sociaux quant à la nature biaisée de sa démarche : son appel à contributions n’a longtemps été publié qu’en anglais, limitant ainsi la capacité de réponse de nombreux citoyens et organisations européens, et remettant en question la légitimité démocratique du processus.
Les socialistes européens, qui se sont lancés en 2009 lors de leur congrès à Prague dans la campagne « Européens pour la réforme financière » en coordination avec le groupe S&D (social-démocrate) au Parlement, les syndicats européens et des ONG européennes, continuent à se mobiliser pour faire aboutir cette volonté politique : plus d’un demi-million de pétitions appelant à l’introduction d’une telle taxe ont déjà été signées. Mais la Commission européenne, dominée par la droite, a décidé d’ignorer la voix du Parlement européen et, à travers lui, des citoyens : quelques heures après le vote du Parlement, le Commissaire Algirdas Semeta (en charge de la fiscalité) a qualifié l’initiative du Parlement de « prématurée » et d' »irresponsable ».
Aujourd’hui, le PSE et les socialistes au Parlement appellent les citoyens à se mobiliser pour les biens publics, pour la justice sociale, pour la santé, pour l’éducation, pour le développement, et pour la lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Aujourd’hui plus que jamais, la Commission doit formuler une proposition définitive et concrète concernant l’introduction de la TTF au niveau européen.
Catherine Trautmann et Poul Nyrup Rasmussen