– seul le texte prononcé fait foi –

Mesdames, Messieurs,

De délicates négociations sont à l’ordre du jour. Les divisions sont profondes. Permettez moi dès lors de vous rappeler ceci: ce sont les jalons de l’Union européenne de demain que vous posez aujourd’hui.

L’Europe vit des moments difficiles: certains pays sombrent toujours plus dans la récession, tandis que les taux de chômage et de pauvreté atteignent des sommets. Bon nombre de nos États membres subissent une pression intense pour faire des économies. Je comprends que dans un tel contexte, il semble à première vue illogique et irresponsable d’exiger une augmentation du budget de l’Union. Il n’en est rien: même si elle trouve un certain écho auprès de la population, l’idée de réduire le budget de l’Union est totalement irresponsable. En effet, le budget de l’Union n’est pas une partie du problème, mais bien une partie de la solution qui permettra enfin à l’Europe de surmonter la crise.

Dans sa résolution du mois d’octobre soutenue par une majorité écrasante de 517 députés, le Parlement européen a de nouveau affirmé clairement sa position relative au cadre financier pluriannuel 2014-2020. Je suis présent aujourd’hui pour vous faire part, au nom de mes collègues, de la position du Parlement européen.

Nous, représentants du peuple, nous opposons farouchement à tout gel ou à toute réduction du budget de l’Union. Car nous le savons bien: le budget de l’Union est le principal instrument dont elle dispose pour stimuler la croissance. C’est surtout en ces temps de crise que l’Union a besoin de ce budget: pour que les investissements débouchent sur la croissance, pour générer des emplois, pour aider les États membres à engager les changements structurels qui sont nécessaires actuellement afin d’enrayer entre autres la perte de compétitivité ainsi que la hausse des taux de chômage et de pauvreté. L’Union a besoin d’un budget solide pour appuyer les efforts nationaux. En effet, le budget de l’Union apporte une plus-value concrète à l’ensemble des citoyens s’il est élaboré de façon complémentaire avec les budgets nationaux, c’est à dire si l’Union alloue des fonds aux postes qui doivent être rabotés par les États membres.

Je suis également d’avis que les problèmes structurels ne peuvent pas être résolus qu’au seul moyen de l’argent. Néanmoins, nous devons aussi dresser le bilan de la politique d’austérité mise en œuvre depuis deux ans: l’Europe s’enlise dans la récession. Aujourd’hui, 25,8 millions d’Européens sont sans emploi. Il faut le reconnaître: la politique d’austérité unilatérale ne fonctionne pas. Au final, l’Europe a besoin de croissance, qui est par ailleurs le meilleur instrument pour réduire la dette.

Mesdames, Messieurs,

L’opposition à un budget réaliste pour l’Union se fonde souvent sur trois idées fausses.

Tout d’abord, le budget de l’Union n’est pas de l’argent pour Bruxelles, mais bien de l’argent pour tous les citoyens européens. Quatre-vingt-quatorze pour cent de notre budget est directement réinjecté dans les États membres ou est consacré à nos priorités en matière de politique étrangère. La suppression des fonds de l’Union investis par exemple dans la politique régionale, dans le développement rural, dans la politique des transports, dans les infrastructures ou dans le programme Erasmus serait définitive. Ces fonds de l’Union ne seraient en aucun cas remplacés par les fonds nationaux. Soyons clairs à ce stade: il s’agit là de réductions des paiements!

Lors de la dernière réunion des Amis de la cohésion, le Premier ministre Robert Fico a clairement montré à quel point ces réductions des paiements pourraient être contreproductives. La Slovaquie bénéficie du Fonds de cohésion de l’Union pour des projets d’infrastructures de transport. Grâce à cet argent, elle fait construire des routes et se fait livrer des trains par des entreprises d’autres États membres. Cet exemple illustre clairement que la contradiction apparente entre contributeurs nets et bénéficiaires nets n’existe pas. Le budget de l’Union n’est pas un jeu à somme nulle dans lequel l’un gagne ce que l’autre perd. Il se produit plutôt des effets de synergie qui profitent aussi aux contributeurs nets. Madame Merkel, vous savez l’importance du développement du réseau à large bande dans votre Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, qui a été possible grâce aux fonds de l’Union. À bien y regarder, la contradiction entre le développement de l’espace rural et le mécanisme pour l’interconnexion en Europe n’est également qu’apparente. Le Premier ministre Andrus Ansip m’a signalé que dix ans après l’adhésion de l’Estonie à l’Union, l’infrastructure permettant de relier son pays à la Russie était toujours meilleure que le réseau de transport entre l’Estonie et les autres États membres. Indépendamment de tout jugement politique, j’affirme qu’il serait judicieux sur le plan économique d’améliorer les infrastructures de transport dans le marché intérieur. Il en va de l’intérêt général.

Ensuite, le budget de l’Union n’est pas trop élevé. Au contraire: il ne représente que deux pour cent de l’ensemble des dépenses nationales au sein de l’Union. Autrement dit, la somme des budgets des États membres est 50 fois plus élevée que le budget total de l’Union. Pourtant, celui-ci produit un effet de levier considérable: chaque euro investi par l’Union attire des investissements supplémentaires de deux à quatre euros en moyenne.

Enfin, le budget de l’Union n’a pas trop augmenté. Entre 2000 et 2010, les budgets nationaux se sont accrus de 62 pour cent, contre 37 pour cent seulement pour celui de l’Union. Même après 2008, moment où la crise a commencé, les dépenses totales des États membres se sont élevées en moyenne de plus de deux pour cent. Le budget de l’Union est loin d’avoir explosé; au contraire, il s’est même contracté ces 15 dernières années si on le compare avec les budgets nationaux.

Même le débat sur les ressources propres est parfois présenté d’une façon qui laisse à penser que le Parlement cherche avant tout à accroître sans fin le budget de l’Union grâce à un pouvoir d’imposition de fait. Ce n’est pas le cas. Nous voulons enfin concrétiser le système des ressources propres, déjà prévu par les traités de Rome de 1957, pour mettre un terme à l’opposition stérile entre les contributeurs nets et les bénéficiaires nets. À ce stade, j’ai déjà indiqué, au nom du Parlement européen, que nous n’approuverons pas le cadre financier pluriannuel si des progrès ne sont pas réalisés dans la mise en place d’un véritable système de ressources propres.

À l’heure actuelle, certains exigent l’impossible de l’Union: réaliser de plus en plus de tâches avec des moyens toujours moins importants. Les demandes ne sont plus en phase avec la réalité depuis bien longtemps. Ces dernières années, vous avez attribué une série de nouvelles compétences à l’Union par le biais de décisions au Conseil européen. Parallèlement, certains d’entre vous refusent de nous accorder le budget nécessaire pour mener à bien nos missions. Pour une Union européenne ambitieuse, il faut un budget ambitieux.

Une administration de qualité et performante requiert un financement approprié. Les propositions de réduction drastique des dépenses de fonctionnement qui circulent actuellement ne sauraient être qualifiées d’appropriées – elles sont dévastatrices. La discussion doit-elle vraiment aller en ce sens?

Si vous décidez du gel, voire de la diminution du budget de l’Union, il vous faudra également dire adieu à la stratégie Europe 2020.

Qui dit « compromis » ne dit pas nécessairement bon résultat. Le Parlement européen n’avalisera donc pas n’importe quel accord. Plus vous vous écarterez, dans votre proposition de compromis, de la proposition de la Commission, plus votre proposition risque de ne pas être approuvée par le Parlement européen.

La stratégie Europe 2020 n’est pas qu’un simple programme gouvernemental de l’Union, son objectif central – encourager la croissance et l’emploi – doit être notre principale priorité aujourd’hui. Pour ce faire, nous devons investir dans l’éducation, dans la promotion de la société de la connaissance, la recherche, les petites et moyennes entreprises et les nouvelles technologies.

Les petites et moyennes entreprises constituent le premier moteur de la croissance économique, de la compétitivité, de l’innovation et de l’emploi. Ce sont précisément ces entreprises qui seraient les grandes perdantes en cas de coupes drastiques dans le budget de l’Union. L’organisation patronale Business Europe a donc lancé un appel d’urgence: l’Europe a besoin d’un budget à la hauteur des défis de demain, un budget qui investit dans la croissance.

La politique de cohésion est précisément un instrument d’investissement stratégique pour la croissance durable et la compétitivité, un instrument qui diminue les déséquilibres macroéconomiques à long terme et favorise la cohésion. Le Premier ministre Pedro Passos Coelho, dont le pays est un élève modèle au sein de la troïka, a déclaré que son pays pâtirait de la réduction du financement alloué à la politique de cohésion, car sans ces fonds ses perspectives de croissance s’assombriraient.

Au sommet de juin, vous avez approuvé un pacte de croissance qui reconnaît l’effet de levier du financement de l’Union. Malheureusement, cette décision est encore loin d’avoir été mise en œuvre. Le moment est venu de traduire les mots en actions et de doter le pacte de croissance des ressources nécessaires.

Mesdames, Messieurs,

Lors de précédents sommets, j’ai soulevé la question de l’émergence d’une « génération perdue » en Europe. Dans des pays comme l’Espagne et la Grèce, plus d’un jeune sur deux est déjà au chômage. Partout en Europe, des jeunes sont pris dans un engrenage infernal de stages non rémunérés et de contrats temporaires. La lutte conte le chômage des jeunes est notre mission première. Cette question dépend également de l’issue des prochaines négociations sur notre budget: aurons-nous encore assez de fonds pour le programme Erasmus et le système de garantie de l’emploi des jeunes?

Mesdames, Messieurs,

Ce ne sont pas seulement 517 députés au Parlement européen qui attendent de vous que vous adoptiez un budget responsable pour l’Union: j’ai reçu ces dernières semaines d’innombrables lettres de la part de nos concitoyens.

La semaine dernière encore, 44 lauréats du prix Nobel et 6 lauréats de la médaille Fields m’ont remis une pétition déjà signée par plus de 130 000 jeunes chercheurs. Dans cette pétition, ils alertent d’urgence contre les dangers d’une réduction du financement de la recherche et du développement: nous risquerions ainsi de perdre toute une génération de jeunes chercheurs talentueux à un moment où l’Europe a plus que jamais besoin d’innovation pour faire face à la concurrence mondiale. La politique de recherche de l’Union est une véritable réussite qui nous a même permis d’inverser le phénomène de la fuite des jeunes chercheurs de talent.

Il y a quelques semaines de cela, lors d’une visite officielle, j’ai pu découvrir un projet de recherche à la pointe de la technologie des marqueurs dans le domaine de la détection précoce et du traitement du cancer. Grâce à un financement spécial du Fonds régional, un centre d’excellence de renommée internationale a pu voir le jour à Bratislava, au sein de l’Académie slovaque de la science, avec la collaboration d’entités publiques et privées.

La Confédération européenne des syndicats (CES) prône également une augmentation du budget de l’Union dans l’intérêt des travailleurs. Elle le dit clairement: le budget de l’Union est un outil indispensable à la reprise économique.

Des organisations de protection de l’environnement appellent à la prise en compte, dans le budget de l’Union, des objectifs dans le domaine du développement durable et de la protection du climat – tout ceci a aussi un prix. Il en va de même de la coopération au développement au niveau européen. Lors de sa dernière visite au Parlement européen, Bono, le chanteur du groupe U2, m’a instamment prié, au nom de l’organisation non gouvernementale ONE, de continuer d’œuvrer à la coopération au développement et m’a invité à évoquer ce point avec vous, Monsieur le Premier ministre Cameron. En effet, vous aussi, comme me l’a dit Bono, avez pris position pour la coopération au développement de l’Union. Plus de 110 000 citoyens européens ont signé la pétition de l’organisation ONE appelant à défendre le financement de la coopération au développement dans le cadre du prochain CFP. La coopération au développement de l’Union ne coûte que 1,87 euro par citoyen et par mois, mais elle sauve des millions de vies humaines, comme l’a indiqué dans une lettre la confédération européenne Concord qui réunit plus de 1 800 ONG européennes et qui craint qu’une réduction disproportionnée du budget de l’Union ne nous amène à nous décharger de cette responsabilité internationale à l’égard des plus démunis.

La crainte que les plus démunis fassent les frais de ces réductions alimente également les discussions sur la prolongation du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation. Ce Fonds fournit un appui aux travailleurs licenciés à la suite de délocalisations, afin de les aider dans leurs efforts de réintégration dans le marché du travail. Il s’agit d’un instrument de lutte contre la crise. Nos concitoyens en ont besoin aujourd’hui plus que jamais.

Plus d’une centaine de personnalités européennes du monde de l’art et de la culture, de l’entreprise et de la philosophe vous ont adressé une lettre ouverte vous invitant à consacrer un financement suffisant au programme « Erasmus pour tous ».

Tous ces exemples illustrent l’intérêt que les citoyens portent aux avancées qui ont pu être réalisées à ce jour pour les citoyens, les entreprises, l’environnement et la science, et ce grâce au budget de l’Union.

Tout comme vous, le Parlement européen s’est prononcé pour une meilleure politique des dépenses, une saine gestion financière selon les principes de l’efficience, de l’efficacité et de l’économie, mais précisément aussi pour porter les synergies entre les programmes d’aide de l’Union et les investissements nationaux à leur maximum. Nous voulons également une optimisation des dépenses afin que chaque euro produise une plus-value maximale.

Nous estimons de plus que, pour l’heure, il serait judicieux de conserver au cadre financier pluriannuel sa durée de sept ans, une période qui correspond à celle de la stratégie Europe 2020 et nous assure la stabilité financière nécessaire.

Nous demandons également davantage de mécanismes garantissant une flexibilité maximale, et ce tant entre les postes que d’un exercice à l’autre. Ainsi seulement le budget pourra-t-il être adapté à des circonstances politiques et économiques en mutation. Aucun de vos gouvernements ne pourrait opérer sans transfert des excédents d’un poste budgétaire à l’autre – et voilà précisément ce que vous voulez nous refuser.

Permettez-moi, pour conclure, une dernière remarque au candidat à la présidence de la BEI, Monsieur Yves Mersch, que vous nommerez probablement aujourd’hui. De l’avis du Parlement européen, ce serait une grave erreur que de tenter de prendre une décision aussi importante par le biais d’une procédure écrite au cours d’un week-end prolongé. À l’avenir, lors de la nomination à des postes clés, nous attendons de vous que vous respectiez le principe de l’équilibre des genres.

Mesdames, Messieurs,

Dans cette salle se trouvent aujourd’hui réunis des partisans de la cohésion et des partisans d’une meilleure politique des dépenses. Ces deux positions sont souvent considérées comme inconciliables et incompatibles, mais tel n’est pas le cas. La position du Parlement européen réunit les deux approches. Nous attendons de vous que vous négociiez aujourd’hui un compromis raisonnable. Si vous n’y parvenez pas, le Parlement européen n’approuvera pas le cadre financier pluriannuel. En effet, pour certains États membres, ces négociations du CFP sont une occasion de modifier profondément la nature de l’Union. Le Parlement européen s’y oppose fermement.

La philosophie qui sous-tend l’Europe est que les États et les citoyens créent des institutions communes pour surmonter des défis communs. Nous tous dans cette salle partageons cette philosophie. Mais en privant ces institutions de leurs moyens, vous portez préjudice à l’Europe.

Je vous remercie de votre attention.