Tribune publiée dans Euractiv

L’Union européenne s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise sans précédent aux facettes multiples. Les attaques du 13 novembre ont choqué les Français et ébranlé, chez certains d’entre eux, les valeurs républicaines. Nous sommes convaincus qu’aucun pays ne pourra ni relever ces défis seul, ni se redresser sans l’Europe, a fortiori si celle-ci se désintègre.

Dans les crises récentes, l’Europe a trop souvent produit des décisions avec du ‘trop peu, trop tard’, avec une intégration sans responsabilité, sans véritable solidarité ; le doute s’est installé alors que l’Union européenne pourrait être le terrain permettant de redonner du souffle à notre horizon national. La construction européenne est vécue comme une addition d’interdépendances négatives n’ayant pas produit de solidarité. Elle met dangereusement en concurrence les États membres et les peuples. La méthode des petits pas, dès lors qu’elle s’est attaquée à des sujets relevant de la souveraineté partagée, est mise en échec. Maastricht n’a pas produit de politique économique européenne ; Schengen n’a pas produit de politiques communes d’asile, d’immigration ou de frontières extérieures.

Au-delà du pacte de stabilité et du pacte de sécurité, il faut défendre un double pacte : celui de l’État de droit et celui de la solidarité

C’est donc à une œuvre de refondation profonde que nous devons nous atteler, à un nouveau contrat pour unir les Européens. Beaucoup dépend de la France. Avec la gauche européenne, nous devons refuser la dangereuse prise en otage des questions européennes et internationales au profit du repli national, favorisée par une crise économique entretenue par l’orthodoxie budgétaire et l’application de règles inadaptées et procycliques. Cette crise nourrit les discours nationalistes et europhobes, qui gagnent du terrain à chaque élection dans de nombreux pays de l’Union, dont le nôtre.

La France doit prendre une initiative au sein de la famille progressiste européenne alors que les socialistes participent au pouvoir dans quatorze pays sur vingt-huit. La priorité, c’est de mobiliser notre camp autour des valeurs. L’identité européenne, et donc la nôtre, se joue ici et maintenant. Au-delà du pacte de stabilité et du pacte de sécurité, il faut défendre un double pacte : celui de l’État de droit et celui de la solidarité. Notre engagement est celui de la lutte contre les inégalités de toute nature. Nous devons réagir face aux atteintes à l’État de droit et aux droits fondamentaux.

L’Europe par les règles a fait long feu

C’est aussi dans notre famille politique que doit se consolider la bataille des contenus. C’est l’Europe des projets. Les politiques européennes d’austérité abîment l’Europe. L’urgence est de rétablir les indispensables solidarités, puisque aucun État membre, quel que soit sa taille ou sa puissance, ne peut espérer trouver seul les solutions à des défis qui sont en réalité communs.

Dans le prolongement du succès de la Conférence de Paris sur le climat en décembre dernier, nous avons aussi une responsabilité pour en faire la feuille de route d’un nouveau modèle de croissance à l’échelle du continent porteur de l’éco-socialisme.

Des alliances fortes avec les responsables politiques progressistes de pays comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce doivent être nouées. C’est sur cette base que l’action au Conseil européen devrait être engagée. L’amitié franco-allemande y joue, depuis l’origine, un rôle majeur : cette relation est essentielle mais elle doit aussi assumer ses contradictions lorsqu’elles existent.

Le Brexit, l’heure de clarifier les perspectives du projet européen

La négociation avec le Royaume-Uni est l’occasion de rappeler l’importance du rapport de force politique au sein de l’Union européenne. Cette négociation, quel qu’en soit le résultat, doit être saisie pour procéder à l’indispensable clarification des perspectives du projet européen alors que l’Allemagne, le pays de destination du plus grand nombre de réfugiés, en appelle aujourd’hui à la solidarité européenne. Le moment est venu de redéfinir les éléments et les outils du socle de solidarité entre Européens. Il devrait notamment assurer le respect de l’État de droit, le partage dans l’exercice d’une politique migratoire commune, un budget de la zone euro et des ressources propres assises notamment sur l’impôt sur les sociétés et sur une taxe sur les transactions financières ambitieuse, un renforcement des dispositions relatives au détachement des travailleurs ou encore un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union, le développement d’une Europe de la défense appuyée sur une vision partagée des intérêts stratégiques européens.

Notre pays devrait conditionner sa participation à toute nouvelle décision européenne au respect de l’État de droit, aux progrès en matière de lutte contre le dumping social et fiscal, à la mise en cohérence des décisions européennes avec les résultats de la COP 21 et à la concrétisation du principe du juste échange dans nos relations commerciales avec le reste du monde.

Pour convaincre à nouveau les Français que l’Europe est leur avenir, les arguments sur le coût de la non-Europe ne suffisent plus pour contrer les euro-hostiles. Il faut redonner du sens à l’intérêt général européen. C’est un défi pour l’Europe, c’est le rôle de la France.

Par les eurodéputés socialistes et radicaux : Eric Andrieu, Guillaume Balas, Pervenche Berès, Jean-Paul Denanot, Sylvie Guillaume, Louis-Joseph Manscour, Edouard Martin, Emmanuel Maurel, Gilles Pargneaux, Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, Virginie Rozière, Isabelle Thomas