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L’efficacité du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dépend de plusieurs paramètres.

Par LIÊM HOANG-NGOC Député au Parlement européen

Au cours de la campagne électorale, François Hollande a proposé de réformer l’impôt sur les sociétés pour favoriser les PME qui innovent et qui créent des emplois.

 

Dans cette direction, pour enrayer la perte de compétitivité de l’économie française, le premier ministre vient d’annoncer la création du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le montant de ce crédit d’impôt sur les sociétés serait équivalent à 6% des salaires de chaque entreprise, inférieurs à 2,5 SMIC. La baisse du coût du travail occasionnée par le CICE serait de l’ordre de 1,5%. Elle bénéficierait également aux entreprises qui ne paient pas d’IS. Son coût serait de 20 milliards. Le CICE serait financé par des hausses de TVA et par une réduction des dépenses, et notamment des dépenses des collectivités territoriales. Ce dispositif se distingue apparemment de la baisse des cotisations patronales de 20 milliards (financée par une hausse de la TVA et de la CSG) préconisée par le rapport Gallois. Il provoque néanmoins exactement le même effet sur le partage des revenus : un accroissement du taux de marge des entreprises. L’efficacité du CICE dépend de plusieurs paramètres.

 

En premier lieu, puisque la compétitivité (et notamment la compétitivité hors coût) se joue sur le terrain de l’investissement, le CICE n’a de sens que si la hausse du taux de marge qu’il engendre conduit les entreprises à innover en réinvestissant le surcroît de profits. Cela suppose donc que l’investissement soit sensible aux variations du taux de profit. Or les études économétriques sur les déterminants de l’investissement ne valident pas cette hypothèse. L’investissement dépend très peu du taux de marge, et nullement du coût relatif capital-travail. Il dépend positivement de l’effet accélérateur (la demande) et du taux d’utilisation des capacités de production. Ces derniers sont historiquement bas, ce qui signifie qu’en l’absence de carnets de commandes, les entreprises n’ont aucune raison d’accroître leur stock de capital, puisque les machines existantes sont inemployées. Par conséquent, pour que le CICE puisse opérer, il faut au moins conditionner son attribution à un accroissement de l’investissement des entreprises bénéficiaires du dispositif. Il faut de plus que lesdites entreprises puissent voir leurs débouchés s’accroître.

 

C’est pourquoi il faut, en deuxième lieu, éviter de casser la demande. Le mode de financement de la mesure est, à cet égard, décisif. Certes, la baisse d’un demi point de la TVA sur les produits de première nécessité a pour but d’éviter d’amputer le pouvoir d’achat des plus démunis. Pour autant, la hausse de 0,4 point du taux normal de TVA pourrait contrebalancer ce premier effet. De surcroît, la réduction des dépenses, et notamment celles des collectivités territoriales mérite une étude d’impact sérieuse. Celles-ci réalisent en effet les deux tiers des investissements publics, dont l’impact sur le carnet de commande des PME (visées par le CICE) et sur la croissance est important. Par ailleurs, si comme l’indiquent de nombreuses études, le « multiplicateur de dépenses » était de l’ordre de 1,5, la baisse de 10 milliards des dépenses de l’Etat ou des collectivités territoriales pourrait entraîner une contraction du PIB de 15 milliards (soit 0,75 points de PIB). L’objectif annoncé par le premier ministre d’un surcroît de croissance de 0,5% serait alors hors d’atteinte.

 

Dans le débat parlementaire qui doit précéder l’adoption du CICE, il faudra donc veiller à rechercher un mode de financement de la mesure qui soit le moins pénalisant pour la demande intérieure, alors que la reprise prévue s’amorcera à peine en 2014. Si, par malheur, l’ensemble de ces paramètres n’étaient pas réunis, le CICE aboutira essentiellement à déplacer le partage du gâteau de 20 milliards en faveur des profits, dont une part grandissante a été, au cours de la période récente, redistribuée sous forme de dividendes. Le paradoxe serait qu’une politique affichant sa volonté de relancer la compétitivité en abaissant le coût du travail n’aboutisse in fineà renchérir le coût du capital sans produire l’effet escompté. Le pacte de compétitivité se transformerait assurément en pacte de profitabilité.