Isabelle Thomas, auteure. − Madame la Présidente, 100 000 tonnes, c’est le poids de fioul lourd qu’à eux seuls l’Erika et le Prestige ont déversé sur nos côtes. Le préjudice écologique causé par le naufrage de l’Erika a été estimé à 360 millions d’euros et le préjudice global du Prestige dépasse les 4 milliards.

 

Ces catastrophes écologiques et économiques, véritables traumatismes pour nos littoraux, se sont infiltrées dans tous les aspects de la vie de nos côtes: 300 000 oiseaux sont morts englués par le pétrole sorti des soutes de l’Erika; les ostréiculteurs ont été durement touchés; le tourisme a chuté durablement, victime de la détérioration de l’image d’un littoral souillé; les stocks de poissons ont diminué de 43 % dans certaines zones de pêche. D’autres conséquences ne seront jamais répertoriées, comme les répercussions sur la biodiversité.

 

Pourquoi évoquer aujourd’hui l’Erika et le Prestige?

 

En novembre dernier, la justice espagnole a rendu une décision qui conclut à l’absence de toute responsabilité et donc à l’impossibilité de réparation malgré l’ampleur historique de cette marée noire.

 

Même s’il faut encore attendre la décision de la Cour suprême, l’absence de sanctions et le défaut de réparation du préjudice sont un mauvais signal pour le transport maritime, contraire à tous les efforts de prévention des accidents en mer.

 

En France, en revanche, à l’occasion du procès Erika, la Cour de cassation a procédé à deux avancées significatives en matière de lutte contre la pollution. Premièrement, les juges français ont instauré une chaîne de responsabilité, étendue non seulement au-delà du capitaine du navire mais au-delà de l’armateur, permettant la condamnation de l’affréteur.

 

Deuxièmement, les juges ont instauré un préjudice écologique et l’ont chiffré, permettant ainsi de dédommager les victimes. Force est de constater l’abysse juridique entre les décisions de justice rendues sur les deux affaires, symptomatique du vide juridique européen.

 

Alors que l’Europe se targue, à juste titre, de mettre en place une politique maritime intégrée et porte l’ambition de la protection écologique maritime, nous ne pouvons nous résoudre à laisser polluer les côtes européennes en toute impunité.

 

S’il est bien sûr nécessaire de rétablir la justice par la réparation du préjudice subi, il est surtout urgent de pourfendre l’impunité pour éviter de nouvelles catastrophes car la menace de sanctions est un puissant facteur de prévention. La chaîne de responsabilités, alliée à la reconnaissance du préjudice écologique, constitue une incitation efficace pour que les affréteurs et les armateurs exigent des navires sûrs.

 

Alors qu’aujourd’hui des groupes pétroliers affrètent des épaves en croisant les doigts, leur responsabilité en cas de dommages pourrait peser dans la balance. Faut-il attendre d’autres Erika, d’autres Prestige pour que les États européens se mettent au diapason?

 

C’est à l’Union européenne d’adapter sa législation. La directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale doit être révisée pour que la réparation des dommages environnementaux intègre les eaux marines et le transport maritime, qui en ont été écartés. D’autant que d’autres pollutions, moins spectaculaires que les marées noires, suscitent notre inquiétude. Elles proviennent des porte-conteneurs toujours plus grands, toujours plus hauts, qui perdent régulièrement une partie de leur cargaison et échouent sur nos côtes.

 

L’Union européenne doit être à la manœuvre pour faire progresser la sécurité du transport maritime. La sécurité écologique, humaine et économique passe par une réglementation efficace.

 

La question orale déposée par la commission de la pêche, la commission de l’environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs et la commission des transports et du tourisme du Parlement démontre que le Parlement y est prêt. À la Commission, désormais, et au Conseil de prendre leurs responsabilités.