Sylvie Guillaume, rapporteure. − Monsieur le Président, c’est avec une certaine émotion, moi aussi, que j’aborde ce débat aujourd’hui puisque cela fait près de quatre ans que nous travaillons au sein du Parlement de manière acharnée et offensive à la création d’un régime d’asile européen commun.

Dans le cas spécifique de la directive sur la procédure d’asile pour laquelle j’ai été nommée rapporteure, reconnaître que le chemin parcouru a été semé d’embûches est un doux euphémisme. C’est pourquoi je suis très heureuse, aujourd’hui, d’apporter ma pierre à l’édifice.

La directive sur la procédure d’asile actuellement en vigueur a souvent été qualifiée de catalogue des pires pratiques nationales. La Commission, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés ou bien encore les organisations non gouvernementales ont relevé de nombreux constats d’échec dans l’application de la directive précédente.

Il suffit d’ailleurs de comparer les taux de reconnaissance d’un État membre à l’autre pour constater à quel point demander l’asile en Europe peut s’apparenter à une loterie selon le pays responsable de la demande. Alors que le taux de reconnaissance en 2012 a été de moins de 1 % en Grèce, il s’est élevé, par comparaison, à 90 % à Malte, 29 % en Allemagne ou encore14,5 % en France. En outre, selon la nationalité des demandeurs, le taux de protection varie grandement d’un État à l’autre. Par exemple, si un Afghan cherche l’asile en Europe, ses chances de se voir offrir une protection varient de 8 % à 91 % selon l’État où il dépose sa demande. Il était donc indispensable et urgent de réviser la directive sur la procédure d’asile, tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des États.

Mais le processus de réforme est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Il y a quasiment quatre ans, en octobre 2009, la Commission a fait une proposition de modification de la directive. Si le Parlement a, très tôt, accueilli favorablement cette proposition et les améliorations suggérées aussi bien en termes de droit et d’efficacité que d’harmonisation, il n’en a pas été tout à fait de même du côté du Conseil. Il a rapidement fait valoir que les modifications allaient générer des coûts financiers et faciliter des abus ainsi que des détournements de procédure.

Pour sortir de l’impasse, la Commission a présenté une nouvelle proposition où elle tenait davantage compte des réserves du Conseil. De son côté, le Parlement a fait un pari à la fois ambitieux et, selon moi, courageux, et nous avons activement travaillé à une position qui place très haut les curseurs, du côté d’une harmonisation à la hausse des normes de protection.

Avec cette première étape, le Parlement a voulu défaire une vision un peu trop manichéenne de l’asile, à savoir celle qui voudrait qu’il soit exclusivement question de coûts et d’abus. Et aux arguments de coût et d’efficacité mis en avant pour limiter les réformes, nous avons voulu opposer le fait que ce sont plutôt les procédures mal utilisées et de piètre qualité qui coûtent cher aux États. Après des années de discussions parfois laborieuses, nous sommes parvenus à trouver un terrain d’entente et à dessiner les nouveaux contours de la procédure d’asile au sein de l’Union européenne. Le compromis auquel nous sommes arrivés est-il vraiment exactement celui que nous aurions souhaité? Évidemment que non! Mais nous avons respecté une stratégie d’équilibre global telle que le Parlement le souhaitait, qui allie à la fois la qualité des procédures, le respect des droits et l’efficacité du processus décisionnel pour les États membres.

À l’issue des discussions, il y a indubitablement une valeur ajoutée aux textes sur les procédures: les règles sont précisées et clarifiées, les garanties procédurales sont renforcées et les procédures sont plus justes et plus efficaces. Voici, très rapidement, quelques éléments de présentation de certains d’entre eux: par exemple, parmi les améliorations, les règles claires et précises sur la formation obligatoire des autorités en charge de l’examen des demandes; l’introduction d’un mécanisme d’identification concernant les personnes vulnérables, avec évidemment l’identification des besoins, mais aussi la réponse qui est formulée à l’intention de ceux qui éprouvent ces besoins; les dispositions détaillées sur l’entretien individuel, qui doit être mené de façon quasi systématique; le droit à un recours effectif, qui est un point fondamental dans notre texte qui suit l’évolution de la jurisprudence; l’introduction des modalités d’accès à la procédure avec des délais désormais précis; et évidemment, en parlant des délais, l’instauration d’un délai général de six mois pour l’examen d’une demande d’asile soumis à quelques exceptions, mais toutefois dans l’intérêt des demandeurs et des États.

Ce sont autant d’améliorations qui répondent aux déficiences et aux dysfonctionnements qui ont été relevés au cours de ces dernières années par les différents observateurs des systèmes procéduraux d’asile dans les États membres. Autant d’améliorations qui devraient permettre également d’approfondir le processus d’harmonisation et d’unifier l’actuel patchwork des procédures d’asile en Europe.

 

 

Sylvie Guillaume (S&D). – Monsieur le Président, je prends cette fois-ci la parole sur le règlement Dublin sur lequel j’ai également travaillé.

Peu de législations européennes auront suscité autant d’études sur leur application et, dans ces rapports, toujours une même conclusion: il était urgent de réformer le système Dublin, un système dont le coût reste tabou mais dont l’efficacité et les dysfonctionnements ne le sont pas.

Le règlement Dublin, en effet, a été conçu sur la présomption de systèmes d’asile équivalents au sein de l’Union européenne. Or, les disparités, comme j’ai eu l’occasion de le dire tout à l’heure, sont criantes entre les différents systèmes. Les dysfonctionnements des dispositifs se sont accumulés et ils démontrent en fait l’inexactitude de la présomption initiale.

À maintes reprises, le groupe socialiste et démocrate a exprimé ses craintes face à la précipitation qui a animé les discussions. Il a ainsi constamment rappelé qu’il était impératif d’assurer la qualité des textes négociés et de garantir une réelle valeur ajoutée par rapport au texte existant. Au final, on peut regretter que le texte ne soit pas aussi ambitieux que le souhaitait mon groupe, par exemple, même s’il faut saluer et promouvoir les avancées incontestables du texte approuvé, qui viennent souvent combler un vide juridique.

Parmi les principales victoires, qui sont à mettre au crédit du Parlement européen dans le cadre des négociations, je citerai le mécanisme d’alerte précoce, un meilleur accès à la formation pour les demandeurs, un recours suspensif contre les décisions de transfert, un meilleur cadrage de la détention, ou encore un renforcement des droits des mineurs non accompagnés et d’autres personnes vulnérables.

La réforme n’est pas aussi ambitieuse que pouvait le laisser présager la position de la Commission et la position du Parlement. Le texte approuvé n’est pas parfait, mais il a le mérite de fixer certaines règles qui manquaient jusqu’à présent. Or, c’est bien le vide juridique, qui a perduré pendant plusieurs années, qui avait permis à certains États d’avoir des pratiques tout à fait différentes en matière de protection des demandeurs.

Comme pour tous les autres textes du paquet « asile », il faudra mesurer dans les faits le véritable impact du règlement Dublin II. J’en veux notamment pour preuve l’exemple dudit mécanisme d’alerte précoce. S’il pourra aider à identifier les dysfonctionnements des systèmes nationaux d’asile et peut-être y remédier, il n’est pas un substitut au mécanisme de suspension des transferts. Je regrette ainsi qu’il n’autorise pas la suspension des transferts dans les situations où les droits fondamentaux des demandeurs ne seraient pas respectés dans le cas de transferts sous le règlement Dublin.

La difficulté de l’Europe est souvent de traduire la solidarité en actes. Elle reflète également, sans ambiguïté, le déficit de confiance mutuelle entre les États membres. J’espère que ces nouveaux textes permettront d’y remédier.

 

Sylvie Guillaume, rapporteure. − Monsieur le Président, s’agissant de la directive sur la procédure d’asile, je fais le même constat que vous, Madame Malmström. Malgré les insatisfactions, majoritairement, le compromis qui a été négocié est considéré comme présentant indubitablement une valeur ajoutée importante par rapport au texte actuel.

Un autre parcours un peu périlleux nous attend puisque nous aurons maintenant à valider les transpositions complètes et correctes des réformes et que le Parlement devra veiller à un contrôle extrêmement étroit par la Commission – aidée par le Bureau européen d’appui à l’asile, bien sûr – d’une mise en œuvre complète et correcte des directives révisées.

Je serai, de mon côté, particulièrement vigilante sur plusieurs points, notamment l’application des dispositions qui concernent les mineurs non accompagnés, l’efficacité du mécanisme d’identification, la qualité des entretiens ou bien encore le droit à un recours effectif et la question des procédures accélérées ou à la frontière.

Notre combat pour un régime d’asile européen commun, mais vraiment commun et vraiment protecteur, est donc par conséquent loin d’être terminé.