Pervenche Berès, rapporteure. Monsieur le Président, Monsieur le Président en exercice du Conseil, Monsieur le Commissaire, au nom de la commission de l’emploi et des affaires sociales, je veux me féliciter de cette première occasion de débattre du Semestre européen et de l’importance à accorder, dans ce semestre, à l’examen annuel de croissance.

Dans ce cadre-là, Monsieur le Commissaire, vous avez, avec les membres du Collège, décidé de reconduire les lignes directrices pour l’emploi et ce Parlement se propose de vous donner acte de cette confirmation. Nous voulons cependant attirer votre attention sur trois points.

Le premier concerne le contenu de cet examen annuel de croissance. Nous sommes frappés de ce que la question de l’emploi et du chômage apparaisse comme secondaire au regard des objectifs de la consolidation budgétaire. Lorsque vous évoquez ces questions directement liées au fonctionnement du marché du travail, nous avons l’impression que vous introduisez une rupture dans le pacte social entre les citoyens des États membres et leurs gouvernements. Vous proposez que l’âge de la retraite soit augmenté, que le montant des allocations de chômage soit diminué, que le niveau des salaires et les mécanismes de formation de ceux-ci soient modifiés, et l’ouverture des commerces, le dimanche, autorisée.

Nous pensons qu’il y a là une intrusion dans le pacte social extrêmement dangereuse. Nous pensons aussi qu’une attention plus grande devrait être portée aux populations les plus vulnérables, qu’il s’agisse des jeunes, des femmes, des seniors ou des handicapés. Nous pensons également qu’il y a un grand risque de voir la consolidation budgétaire apparaître comme l’alpha et l’oméga de cet examen annuel de croissance.

Notre deuxième point de préoccupation est que, sur la base de cet examen annuel de croissance, vous allez définir – vous l’avez dit vous-même – des programmes nationaux de réformes. Or, c’est ici que les choses importantes vont se décider. Que faites-vous du débat au Parlement sur ces questions-là, alors même que les lignes directrices sont reconduites? Comment voyez-vous un débat démocratique sur cet enjeu? Comment articulez-vous l’article 148, qui coordonne les politiques de l’emploi, avec l’article 121, qui coordonne les politiques économiques?

Pour le Parlement européen, il y a une grande confusion aujourd’hui, car nous sommes à la fois saisis de la stratégie Europe 2020, des travaux du groupe de travail de M. Herman Van Rompuy, du paquet de gouvernance économique dans lequel ce Parlement s’investit largement, d’une révision du traité qui pérennise un mécanisme européen de stabilité financière mais, en même temps, nous débattons d’une éventuelle modification de celui-ci. Vous lancez le Semestre européen pendant que la chancelière Merkel et le président Sarkozy lancent le pacte de compétitivité. Et, en même temps, vous reconduisez des lignes directrices pour l’emploi, qui ne seront vraisemblablement qu’un espace très vague de définition de ces programmes nationaux.

Alors, Monsieur le Commissaire, je veux vous mettre en garde sur une troisième préoccupation qui est la nôtre. Lorsque l’année dernière, avec la complicité de la présidence belge, nous avions réussi à infléchir le cours des lignes directrices pour l’emploi, il y avait un point sur lequel nous avions beaucoup insisté, qui était la question de la gouvernance. Et cette gouvernance, qu’est-ce qu’elle veut dire? Elle veut dire qu’on ne peut pas faire une politique économique et une politique sociale couronnées de succès si elles ne s’accompagnent pas d’un vrai débat démocratique. Et ce débat démocratique suppose un pouvoir pour le Parlement européen, un pouvoir pour les parlements nationaux et un vrai respect, une vraie complicité, une vraie association des partenaires sociaux. Nous avons  parfois l’impression que les propositions que vous faites tournent le dos à tous ces éléments qui font la vie démocratique dans nos pays.

Je pense que, sans une prise de conscience autour de cet enjeu, il y a un risque de manque de cohérence, un risque de détournement de nos populations de ce que nous essayons de faire ensemble et un contournement de ce qui est la clé de notre succès, à savoir l’esprit communautaire.

Pervenche Berès, rapporteure. Madame la Présidente, Monsieur le Commissaire, peut–être pourrez–vous dire au président Barroso que nous aurions aimé qu’il participe à ce débat car c’est le premier débat autour des enjeux de l’examen annuel de croissance, pierre angulaire de ce semestre européen qu’il a tant voulu et dont il considère que c’est un élément clé pour sortir l’Union européenne de la crise.

Peut–être pourrez–vous lui dire aussi que, dans ces conditions, le Parlement européen ne sera pas un partenaire facile et que le paquet sur la gouvernance économique nécessite que la Commission accorde plus d’importance à ce qui sortira de ce Parlement.

Vous lui direz aussi que, pour ce Parlement, la mise en œuvre du traité de Lisbonne, de tout le traité de Lisbonne, et notamment de l’article 9 qui fait de la question sociale une question horizontale, n’est pas pour nous lettre morte. Nous attendons la pleine utilisation du traité de Lisbonne. On dit en permanence qu’il faut procéder à une révision minimale du traité et utiliser tout le potentiel. Nous avons parfois l’impression que l’examen annuel de croissance tourne le dos au potentiel de cet article 9.

Enfin, je voudrais vous dire, à l’issue de ce débat, ce qui me frappe. On a parfois l’impression qu’à la Commission européenne, même après cette crise, on continue à réfléchir sur la base des « vieilles recettes », avec l’idée que l’essentiel, c’est la réforme du marché du travail. On sait bien, dans la pensée dominante au sein de la Commission européenne dont vous n’êtes sans doute pas un représentant, que lorsqu’on parle de réformes du marché du travail, on parle de flexibilité, même pas de flexicurité, mais de flexibilité.

Or, les dix années écoulées, avant même la crise, nous apprennent que cette façon de penser – il suffit qu’il y ait de la croissance pour qu’il y ait de l’emploi – ne suffit plus. Le vrai défi qui est devant nous, c’est celui de l’emploi, que ce soit pour nous, que ce soit pour les pays autour de nous.

Lorsque je vois le débat qui s’engage autour de la compétitivité, je vois un débat qui tourne le dos à cette priorité autour de l’emploi et je m’en inquiète.