Mesdames, Messieurs, Messieurs les premiers ministres, Messieurs les chefs de gouvernement, Mesdames, Messieurs les parlementaires européens, chers amis, je vous remercie de m’avoir permis aujourd’hui de conclure les travaux de quatre fondations européennes sur le beau thème de la renaissance de l’Europe.

Renaissance, le mot est juste. Une Europe nouvelle doit voir le jour, plus solide, plus solidaire, plus sociale. Les conservateurs dirigent l’Europe depuis de longues années, de trop longues années. Leur bilan est lourd. L’Europe, en effet, traverse la plus grave crise de son histoire, crise financière, crise économique, crise politique et même une crise institutionnelle — pour ne pas dire existentielle. Et ils n’y seraient pour rien ! Les marchés dominent, l’austérité s’impose, la récession s’installe, le chômage s’accroît, et non, ils n’y sont toujours pour rien !

Il y a donc aujourd’hui un péril plus grave que tous les autres, c’est que les Européens, à force de déceptions et de désillusions, se détournent de l’idéal qui a été le leur et celui des générations précédentes depuis plus de cinquante ans.

Cette crise, je dois le rappeler, n’est pas venue de nulle part. Elle n’est pas produite par la fatalité. Elle n’est pas une conséquence de turbulences dont nous ne serions en aucune façon responsables. Cette crise, c’est celle du libéralisme débridé, de la finance sans règle et de l’effacement méthodique des interventions publiques. Face à cet échec, devant ce péril, il y a pour les progressistes un devoir : redonner un nouvel espoir à l’aventure européenne. Ceux qui sont au pouvoir parmi les progressistes — trop rares — ont déjà cet engagement. Je pense à Elio Di Rupo en Belgique, et j’y pense avant d’autant plus d’émotion qu’aujourd’hui, il traverse avec son peuple un moment extrêmement grave et dur. Mais je pense aussi au Danemark dirigé par les socio-démocrates, à l’Autriche, à la Slovénie, à la Slovaquie, et je n’oublie pas la Croatie qui rejoindra bientôt l’Union européenne. C’est peu, j’en conviens, c’est trop peu, et c’est ce qui doit changer, et d’abord ici en France.

Certes, je sais l’influence de Martin Schulz, nouveau président du Parlement européen. Certes, je n’ignore rien de ce que fait le groupe socialiste au même Parlement européen. Mais notre responsabilité aujourd’hui est plus grande. Nous sommes à la veille d’échéances décisives, en France d’abord — et c’est ma tâche — mais aussi bientôt en Allemagne avec Sigmar Gabriel, président du parti Social-démocrate, et en Italie avec Pier Luigi Bersani. Voilà ce que nous avons à faire, permettre le changement dans nos pays et en Europe.

Jamais sans doute une élection présidentielle française n’aura eu un tel enjeu, dans un tel contexte, à la fois permettre une alternance en France et lever une espérance en Europe. L’alternance au service de l’espérance, la France au service de l’Europe, voilà ce que les électeurs et électrices de France auront à déterminer dans les prochains jours.

Je sais que nous sommes attendus. Je sais que nous sommes regardés. Et si nous avons pu faire la réunion d’aujourd’hui, c’est bien parce qu’au-delà de nos partis, il y a des femmes et des hommes en Europe qui nous regardent, qui nous espèrent, qui nous attendent et qui pensent que si le mouvement se lève en France, il sera irréversible dans toute l’Europe, en Allemagne d’abord, en Italie ensuite et dans d’autres pays.

Les dirigeants conservateurs l’ont d’ailleurs parfaitement compris. C’est ainsi que j’ai interprété la « sainte alliance » qui se serait organisée. Il y a quelque chose de touchant à voir tous ces dirigeants conservateurs venir en aide, en soutien, au candidat de Droite en France. Il en avait peut-être bien besoin… Même si, je le rappelle, ce sont les Français, les citoyens français, qui vont décider de leur avenir le 6 mai prochain. Mais c’est bien le droit des dirigeants conservateurs de se retrouver à la veille d’une échéance importante en France. Et c’est le devoir des progressistes aussi, en Europe, d’être ensemble aujourd’hui pour porter le même message, celui d’un changement en Europe.

Je fais partie de la génération des hommes et des femmes à qui l’Europe paraît si familière, si évidente, si naturelle. Les pères fondateurs avaient dû surmonter tant de passions, pleurer tant de deuils, s’arracher à tant de vengeances, oublier tant de haines pour accomplir cette tâche prodigieuse. Et ils l’ont fait.

Ils ont réconcilié d’abord, rassemblée ensuite, réunifié après, et ouvert un destin commun à des peuples déchirés et à des pays séparés hier par un mur. Ma génération a pris le relais, et je suis avec d’autres, ici, dépositaire de ce précieux héritage. Je l’ai recueilli pour ma part auprès de deux grands européens, François Mitterrand et Jacques Delors. Ce legs prestigieux m’oblige et me conduit aujourd’hui à être ambitieux pour l’Europe, et en même temps à être inquiet. Je mesure, comme vous tous ici, le doute profond, insidieux, qui s’est installé en France et partout en Europe à propos du projet lui-même de notre continent. L’Europe s’est affaiblie à mesure qu’elle s’éloignait des peuples, qu’elle ne répondait plus à leur attente, qu’elle était perçue comme impuissante face aux forces du marché, obsédée même par la dérégulation, incapable de résister à la mondialisation libérale.

C’est cette Europe que je ne veux plus. C’est cette Europe que je veux réorienter.

Nous sommes à un moment crucial, car l’élection présidentielle en France se tient au moment même où un nouveau traité est signé. Face à un pacte qui porte le nom de stabilité mais qui peut devenir un pacte d’austérité, j’oppose un pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance.

La responsabilité, je l’assume. Il y a aujourd’hui des disciplines à mettre en place partout en Europe. La discipline est nécessaire si nos pays veulent retrouver de la liberté, de la souveraineté, de la capacité d’agir. Le sérieux est indispensable pour sortir de la main froide des marchés dans laquelle les conservateurs nous ont plongés en creusant les déficits, en laissant filer la dette, en détériorant les comptes publics. Ne laissez jamais dire que les conservateurs gèrent bien leurs pays respectifs ! Ne laissez jamais penser qu’ils savent mieux que les progressistes maîtriser les dettes, réduire les dépenses et éviter les hausses d’impôts ! Au contraire, c’est sous un gouvernement de Droite depuis cinq ans que la dépense publique a progressé, que la dette s’est creusée et que les impôts ont augmenté. Eh bien, c’est notre tâche, maintenant, de remettre de l’ordre dans les finances publiques en France et en Europe !

Ai-je besoin d’illustrer mon propos ? Chacun se souvient du président sortant, qui était à l’époque le président entrant, nous étions en 2007 au lendemain de l’élection présidentielle ; il s’est rendu lui-même contre tous les usages — c’est son tempérament -, contre toutes les convenances — c’est sa façon de faire -, à la réunion de l’Eurogroupe, c’est-à-dire des ministres des Finances de l’Europe, pour leur demander une chose : de ne pas respecter le pacte de stabilité car il avait à accorder des avantages fiscaux aux plus favorisés. Et c’est le même qui viendrait, au nom d’un traité qu’il vient de signer et qui n’est pas encore ratifié, nous faire des leçons de bonne gestion financière ici en France et dans toute l’Europe ?

J’assume des règles. Je revendique la responsabilité. Je reconnais l’obligation du sérieux. Et c’est pourquoi, si les Français m’en donnent mandat, au lendemain de l’élection présidentielle, j’inscrirai dans une loi de programmation budgétaire pour cinq ans le cadre de responsabilité de nos finances publiques conduisant à un équilibre de nos comptes en 2017. Cette maîtrise se fera graduellement, méthodiquement, durablement. Et elle se fera dans la justice, car il n’est pas possible de demander quelque effort que ce soit à nos compatriotes s’il n’y a pas un partage, un partage juste du sacrifice à faire, et notamment du côté des plus favorisés.

Mais si les disciplines sont nécessaires, si la gouvernance est indispensable, il n’y aura pas de réussite, il n’y aura pas de retour à l’équilibre si le traité n’est qu’un traité budgétaire, c’est-à-dire n’est qu’un traité de disciplines, de sanctions qui deviendront vite des austérités pour tous les peuples. C’est pourquoi j’ai affirmé à plusieurs reprises, et je le fais encore aujourd’hui solennellement, que je renégocierais le traité budgétaire, non pas simplement pour la France mais pour l’Europe tout entière. Personne ne peut imaginer que si la croissance n’est pas là, les objectifs posés par ce pacte, par ce traité, pourront être atteints. Même les agences de notation, même les marchés le savent et s’inquiètent face à la menace de récession et au niveau des dettes. Et même certains gouvernements conservateurs qui expliquent déjà, après avoir apposé leur signature, que ce pacte est intenable, et qui demandent déjà de le revoir pour ce qui concerne les objectifs qui sont assignés à leur pays. Voyez l’Espagne, voyez les Pays-Bas, et bientôt d’autres ! J’en sais aussi qui ne disent rien pour le moment et, quoique conservateurs, espèrent notre victoire pour renégocier le pacte budgétaire.

Ce traité est une illusion, mais c’est aussi un risque, celui de devoir faire dans quelques mois ou dans quelques années, après des efforts parfois insupportables pour les Européens, le constat de l’échec et de l’impuissance. Le traité, à bien des égards, est son pire ennemi. Il prétend en terminer avec la crise financière à travers une annonce de stabilité, mais il crée les conditions d’une crise économique durable, laquelle ne peut faire que ressurgir les déséquilibres financiers qui ont fait naître, justement, la première. C’est le sens de ma demande de renégociation. Ce n’est pas une improvisation électorale — je laisse ça à d’autres ! Ce n’est pas une découverte soudaine. Ce n’est pas non plus un défi. Non, c’est un choix européen. Le traité est signé, il n’est pas ratifié, il y a donc un espace de négociation.

J’ai donc demandé un mandat au peuple français. S’il fait le choix de me porter à la présidence de la République, j’aurai alors le devoir, l’obligation de renégocier ce traité parce que le peuple français en aura souverainement décidé. Ma détermination sera entière, contrairement à celui qui annonce d’emblée — vous le reconnaîtrez — qu’il quittera la table des négociations s’il n’est pas suivi. Parce que ce qu’il veut, lui, ce n’est pas négocier un traité signé et pas ratifié, c’est renégocier y compris les traités signés, ratifiés, appliqués depuis de nombreuses années. Et je ne parle pas des 140 conventions fiscales que toute sa vie durant, il voudrait remettre en cause, s’il est encore président de la République ! Non, je mettrai toute ma détermination non pas à quitter la table des négociations, mais à y rester tout le temps nécessaire pour obtenir la croissance, l’emploi, le développement, le progrès. Et nos partenaires le savent. Il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel. Je sais aussi que la nouvelle Assemblée nationale que le peuple français aura à choisir au lendemain de l’élection présidentielle et le Sénat ne ratifieront pas en l’état le traité s’il ne fait pas l’objet d’une renégociation sérieuse pendant le temps qu’il nous sera donné de le faire.

Mais de quelle renégociation s’agit-il ? La question est légitime. Je propose de nouveaux instruments pour atteindre de nouveaux objectifs. Je l’ai dit, j’accepte les disciplines, la gouvernance. Je veux en revanche qu’il y ait pour l’Europe de nouvelles capacités pour agir, et pour l’Union européenne de nouveaux défis à relever. Les instruments sont simples. Il s’agit de mobiliser des financements supplémentaires pour permettre la croissance et l’emploi.

Le premier de ces financements, c’est le recours à la Banque européenne d’investissement qui devra lever de nouveaux emprunts pour intervenir dans des domaines que nous connaissons bien : des projets de développement et de financement des entreprises. Mais cela ne suffira pas.

Le deuxième instrument, c’est l’euro-bond, la capacité pour l’Europe en tant que telle d’émettre des obligations – non pas pour mutualiser les dettes souveraines, mais pour financer de nouveaux projets de développement.

Et le troisième instrument, pour capter de nouvelles ressources, ce sera la taxe sur les transactions financières, avec une assiette large couvrant tous les échanges, tous les produits dérivés – et qui sera appliquée à autant de pays qui voudront y adhérer.

Mais je dois aussi mobiliser des fonds qui ne le sont plus : des fonds structurels qui restent gelés, faute de pouvoir être affectés. Il avait même été créé un fonds européen anti-délocalisations, appelé Fonds d’ajustement à la mondialisation – mais qui, aujourd’hui, n’est consommé que pour 10 % des crédits qui avaient été affectés. Qu’attend-on ? Il n’y aurait plus de délocalisations ? Il n’y aurait plus de mutations industrielles ? Eh bien, nous mobiliserons tous les fonds européens pour agir pour l’industrie, pour les mutations, pour l’emploi, pour la croissance!

Et pour quels objectifs ? Il y a d’abord l’énergie, la transition que nous devons opérer, la montée des énergies renouvelables, les économies d’énergies, les réseaux de transport – bref, tout ce qui nous permettra d’être à la fois plus économes dans les ressources que nous devons maîtriser (les matières premières), et en même temps d’avoir les capacités d’investissement qui nous permettront de lever de nouveaux emplois. Voilà le premier objectif : la transition énergétique.

Le second objectif de cette mobilisation exceptionnelle de financements, c’est la recherche, l’innovation, les universités – grand enjeu de l’Europe !

Et puis, enfin, il y a tout ce qui a trait à la rénovation urbaine, à la mutation de nos villes, à l’emploi des jeunes. Je veux faire de la jeunesse une grande cause européenne ! Je ne peux pas accepter que le chômage des jeunes en Europe soit autour de 25 %, qu’il y ait du désespoir dans la génération qui arrive et qui doute même de notre capacité d’agir. Eh bien l’Europe devra faire place à sa jeunesse.

Au-delà de cette renégociation, il y aura d’autres défis à relever. Nous devrons aller vers de nouvelles avancées, vers la réciprocité des échanges commerciaux. Là encore, soudaine révélation pour le candidat sortant ! Voilà cinq ans qu’il est le chef de l’Etat. Il a présidé l’Union européenne. Et il découvre qu’il y a des asymétries entre les accès aux marchés publics pour un certain nombre de pays ici, et une difficulté pour nos entreprises d’accéder aux marchés publics ailleurs ! Et le voilà qui menace. Je considère que l’Europe doit rester ouverte. Mais elle ne peut pas être offerte. Elle doit riposter aux mesures protectionnistes adoptées par certains pays émergents.

Et si des partenaires commerciaux ont accès à nos marchés publics, nous aurons accès aux leurs. Et s’ils ne se conforment pas aux normes sociales, aux normes environnementales, nous taxerons leurs produits. C’est le sens de la taxe carbone aux frontières que nous proposons. Cela, c’est le défi commercial – mais qui ne nous empêchera pas d’améliorer notre compétitivité et de faire de l’Europe une puissance économique qui s’affiche comme telle.

Nous avons aussi un second défi, qui est celui de lutter contre la spéculation financière. Et c’est la raison pour laquelle le mécanisme européen de stabilité qui va bientôt être mis en place devra avoir des liquidités plus importantes à sa disposition pour agir quand les marchés eux-mêmes doutent d’un certain nombre de dettes souveraines ou mettent en cause la stabilité de notre continent. Ce mécanisme européen de stabilité doit être davantage lié à la Banque centrale européenne pour pouvoir, en cas d’urgence, disposer des liquidités indispensables. Comment comprendre que les banques puissent accéder sans limite aujourd’hui à la Banque centrale européenne et qu’un mécanisme d’intervention pour lutter contre la spéculation financière en Europe ne pourrait pas le faire ? Eh bien, nous le ferons !

Et puisque je parle de la Banque centrale européenne, elle a renforcé ses interventions – et c’est une évolution louable. Mais elle devra aller plus loin pour jouer pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort. Je sais que cette position n’est pas partagée par tous en Europe. Mais nous ne nous interdisons rien pour faire évoluer le mandat de la Banque centrale européenne. Stabiliser les prix : c’est fait. Lutter contre la spéculation : il y a encore à faire. Et, surtout, agir pour la croissance. Telle doit être, également, la mission de la Banque centrale européenne.

Enfin, toujours pour relever le défi financier, nous avons besoin de supervision des banques et des acteurs financiers, de contrôle pour maîtriser les activités spéculatives, de réformes bancaires dans nos pays respectifs. Et pour ce qui concerne la France, je l’ai annoncé, il y aura une réforme bancaire qui séparera les activités de dépôt et de crédit et les activités spéculatives pour qu’il y ait une étanchéité entre les interventions.

Enfin, je reprendrai la proposition de créer une agence publique de notation pour ne pas laisser simplement les agences que nous connaissons aujourd’hui décider des dégradations qui peuvent toucher des Etats.

Bref je n’accepterai pas pour ma part que l’économie, que la finance, que les marchés puissent échapper au contrôle des politiques, des élus des Nations, des élus européens. Je sais que nos amis allemands le comprennent. Et c’est d’ailleurs la raison qui a voulu que la souveraineté budgétaire du Bundestag soit un principe constitutionnel indépassable. Eh bien il en sera de même pour le Parlement européen.

L’Europe a besoin de toutes ses Nations. Et je salue ici tous ceux qui représentent les différents pays européens et notamment le président du Parti socialiste européen. L’Europe a besoin de l’Allemagne, parce que c’est une grande nation, parce que c’est une puissance économique, parce qu’elle est aussi une référence en matière de compétitivité et, aussi, de démocratie sociale. Mais l’Europe a également besoin de la France. La France, pays fondateur. La France, grand pays capable d’orientations politiques utiles à l’Europe. L’Europe a besoin de la France, de sa capacité à porter un idéal. Mais la France a besoin de l’Europe. La France et l’Allemagne ont besoin de l’Europe. La France et l’Allemagne ne peuvent pas penser diriger à elles seules l’Europe. L’Europe est la responsabilité commune de la France et de l’Allemagne. L’Europe n’est pas la propriété commune de la France et de l’Allemagne.

L’Europe doit rester notre avenir. Quel est le grand défi de ma génération ? Ce n’est plus la reconstruction : elle est faite. C’est de réussir la transition. La transition économique : passer d’un monde qui s’achève à un autre monde. La transition financière : passer des marchés sans règles à une finance organisée. La transition écologique, pour que les ressources soient maîtrisées, que les dangers du réchauffement climatique soient le plus possible combattus. La transition énergétique, par rapport à l’épuisement des ressources naturelles. Et la transition générationnelle, pour donner à la jeunesse la place qu’elle attend. Voilà la responsabilité de celles et ceux qui demain doivent diriger l’Europe !

Et puisque j’ai évoqué l’énergie, je considère que nous avons besoin d’une Europe de l’énergie. L’Europe s’est construite autour du charbon et de l’acier, dans les années 50, puis de l’agriculture, puis d’un grand marché, puis d’une monnaie unique. Et si son destin était aussi de maîtriser son énergie ? L’Europe de l’énergie, ce n’est pas de libéraliser les marchés pour baisser les prix : c’est assurer une sécurité d’approvisionnement et un meilleur usage. L’expérience de la libéralisation, c’est que les prix de l’électricité et du gaz ont fortement augmenté. C’est que des entreprises ont finalement créé des monopoles privés ou des ententes. Et c’est pourquoi j’instaurerai une directive cadre sur les services publics, si elles Européens veulent bien nous suivre dans cette direction, de façon à ce qu’il y ait une sorte de bouclier énergétique qui protège les ménages européens par rapport à un risque de précarité énergétique face à la hausse constante du prix de l’énergie.

L’idée n’est pas nouvelle. Là encore, Jacques Delors avait en son temps proposé l’idée d’une communauté européenne de l’énergie. Mettons-la enfin en œuvre, à travers des recherches communes sur les énergies propres, à travers la montée des énergies renouvelables, à travers les techniques de stockage, à travers les véhicules propres. Voilà ! Prenons de l’avance en dominant l’énergie, en faisant en sorte que nous soyons pionniers dans ces domaines.

Il y a d’autres défis. Celui de la maîtrise des flux migratoires. Là encore, nul besoin de menacer. Il suffit de faire en sorte que les traités qui existent – je parle de Schengen – puissent être modifiés autant que nécessaire, c’est d’ailleurs le cas, pour renforcer les dispositifs existants. Mais cela doit se faire avec tous les Etats-membres, même si dans des circonstances particulières, il peut y avoir des décisions urgentes – nous n’en sommes pas là. Mais je n’accepterai pas que l’immigration soit, une fois encore, utilisée comme un sujet de discorde en France et en Europe ! C’est la responsabilité des chefs d’Etat et de gouvernement de trouver ensemble des solutions et d’appliquer les traités. C’est leur responsabilité, aussi, d’avoir une approche globale et concertée avec les pays d’origine et de transit, d’Afrique et de Méditerranée, en menant des politiques de développement dont l’Europe doit prendre davantage l’initiative.

L’Europe, c’est aussi la culture, le savoir, la connaissance, l’échange. Je défendrai l’exception culturelle qui veut qu’un bien culturel n’est pas une marchandise et que chaque pays doit défendre sa diversité pour en faire bien commun de l’humanité.

Je veux que l’Europe instaure davantage de mobilité pour tous les jeunes et pas simplement les étudiants ou de rares privilégiés. Je veux qu’il y ait un courant y compris avec les jeunesses des quartiers de nos villes, pour qu’elles se connaissent davantage qu’aujourd’hui et partagent, à ce moment-là, la conscience d’appartenir non seulement à une nation, mais aussi un continent qui les lie les uns les autres.

Enfin, l’Europe doit prendre davantage de responsabilités politiques à l’échelle du monde. L’Europe, grande puissance économique – la première. Mais encore tellement timide pour affirmer ses principes, ses volontés, ses engagements pour régler les grandes affaires du monde. Oui, nous devrons reprendre à partir du mois de mai et avec d’autres, avec les Européens, les processus nécessaires pour enfin aboutir à des négociations au Moyen-Orient. Oui, nous devrons aussi mener une politique européenne de défense – sans qu’il y ait là trop d’illusions à entretenir –, mais à échanger, à coopérer, à monter des projets communs, à pouvoir, là encore, affirmer une industrie commune pour notre défense.

L’Europe est une puissance qui s’ignore trop, une puissance qui se retient – car elle a peur, même, d’être une puissance. Elle n’a rien à craindre. Elle porte des valeurs, des principes qui sont ceux de la démocratie, de la liberté, du bien commun, du progrès. Elle n’est pas une puissance qui veut influencer les autres. Elle est une puissance qui veut convaincre, qui veut donner ce qu’elle a conçu de meilleur en elle-même, c’est-à-dire des valeurs d’humanité, de respect et de dignité humaine.

L’Europe doit être aussi mieux gouvernée. C’est le rôle du Conseil européen, des chefs d’Etat et de gouvernement. C’est le rôle, aussi, des institutions communautaires – que je respecte. L’Europe a avancé quand elle a été capable d’avoir des chefs d’Etat et de gouvernement qui avaient une vision, mais aussi des institutions communautaires qui prenaient l’initiative, qui anticipaient, qui traduisaient, qui engageaient. Et un Parlement européen qui faisait entendre sa voix. Et c’est pourquoi nous devons aller vers une responsabilité encore plus grande de la Commission européenne devant le Parlement européen, et du président de la Commission européenne devant le Parlement européen.

Et il y a le rôle des Parlements nationaux, qu’il convient là encore de respecter, car chacune de nos nations doit être regardée en tant que telle.

Et je n’oublie pas non plus l’enjeu social de la construction européenne, le rôle des partenaires sociaux à l’échelle de l’Europe, la démocratie sociale à l’échelle de l’Europe. L’Europe ne peut pas être simplement que des institutions politiques ou des chefs d’Etat et de gouvernement. L’Europe doit être aussi cette représentation des citoyens – et notamment pour ce qui concerne les travailleurs, leurs représentants syndicaux à l’échelle de l’Europe.

On me dira, à la veille d’une élection présidentielle en France : mais comment allez-vous faire si vous êtes élu – car c’est l’objectif ? Vous vous trouverez peut-être seul – c’est possible, dans un premier temps. Mais je ne suis pas seul. D’ailleurs, vous êtes là, déjà, aujourd’hui. Je ne suis pas seul parce qu’il y a le mouvement progressiste en Europe. Je ne serai pas seul parce qu’il y aura le vote du peuple français qui me donnera mandat. Je ne serai pas seul parce qu’il y aura des alliés, qui ne seront pas tous progressistes. Il y en aura de toutes les sensibilités, parce que beaucoup en Europe veulent changer. Je ne serai pas seul parce que je respecterai mes partenaires, parce qu’ils n’ignoreront rien de ce qu’est ma volonté. Et en même temps, je ne tiendrai pas deux langages, un langage à Bruxelles et un langage à Paris.

La France se fera respecter parce que c’est un grand pays, et parce que l’Allemagne et la France ont un partenariat nécessaire. Je crois à l’amitié entre la France et l’Allemagne. Nous avons été capables — c’était il y a cinquante ans après tant d’épreuves, c’étaient Konrad Adenauer et Charles de Gaulle — de nouer un traité, le Traité de l’Elysée, qui a porté l’idée de l’amitié, de la coopération, du renforcement des liens entre nos deux pays. Cinquante ans après, nous aurons à donner un nouveau contenu au Traité de l’Elysée, à l’amitié franco-allemande. Et j’en prends ici l’engagement.

De la même manière, nous avons avec nos amis italiens tellement de relations politiques, culturelles, économiques. Nous avons tant de solidarité par rapport à notre histoire commune, mais aussi par rapport à tant de projets que nous pouvons porter, notamment le beau projet méditerranéen. Alors, là encore, j’attendrai autant qu’il sera nécessaire, si les Français m’en ont donné mandat, mais pas trop longtemps. Venez, venez vite nous rejoindre à la table, si elle nous est ouverte, du Conseil européen !

Mais nous n’en sommes pas là. J’ai à convaincre les Français. Il reste un peu plus de quatre semaines avant le premier tour, six semaines avant le second tour. Nous avons un peuple qui à la fois veut le changement, et en même temps en a toujours une forme d’inquiétude. Donc, nous devons convaincre et nous devons vaincre les scepticismes, les résignations, les fatalités. Il en est de même d’ailleurs pour l’Europe. Et j’ai la même méthode : je serai un défenseur obstiné des intérêts de la France, et en même temps un promoteur déterminé des intérêts de l’Europe. Quand je défends ici en France l’emploi, la croissance, la solidarité, la justice fiscale, je sers aussi les intérêts de l’Europe qui attend la croissance, l’emploi, la justice et la solidarité.

Voilà ce que j’étais venu vous dire ici sur l’Europe, c’est-à-dire sur la plus belle idée, la plus belle aventure humaine qu’il ait été possible de porter après les désastres et les drames du XXème siècle. Cette idée demeure. Elle est menacée. Elle est fragile. Chaque responsable public doit veiller à protéger autant qu’il est possible cette flamme, à donner vie à cette espérance. Tout relâchement dans l’ambition européenne serait en définitive un retour, un repli, un risque de recroquevillement sur nos Nations, et de proche en proche un doute aussi sur la possibilité de changement. Les progressistes, plus que les conservateurs, doivent se mobiliser pour l’Europe. Quand l’Europe recule, les conservateurs peuvent rester sur la même ligne. Pas les progressistes. Le sort du mouvement socialiste et social-démocrate est intimement lié au développement de l’Europe, et l’Europe intimement liée à la cause du progrès.

C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais considéré l’Europe comme un marché, comme une monnaie, comme une somme de traités, et même comme des institutions. L’Europe est une espérance. C’est ce qui nous a permis d’être un continent qui a été regardé, toujours, comme un continent qui porte l’histoire, qui ne l’impose pas mais qui la fabrique. L’Europe, c’est aussi un mode de vie, une culture, une façon d’être que nous n’avons pas à protéger derrière des barbelés, que nous avons à offrir au monde.

J’ai parlé, c’est vrai, d’un rêve français, celui d’un dépassement de nous-mêmes, cette obligation que nous avons de faire à la génération qui vient un meilleur sort que le nôtre, de donner la main à cette jeunesse pour la conduire à notre place, de lui donner tout ce qu’elle attend, c’est-à-dire tout simplement une reconnaissance, une émancipation, une capacité de vivre. Voilà le rêve français qui s’est établi décennie après décennie, génération après génération, cette continuité dans la construction du progrès et de l’égalité. Eh bien ce rêve français que je porte dans cette élection, y compris dans le contexte de crise que nous connaissons — parce qu’il y a la crise et que nous devons retrouver l’espérance et le rêve -, ce rêve français est indissociable du rêve européen.

Voilà pourquoi, candidat à l’élection présidentielle, je veux servir la France et je veux aussi servir l’Europe.

Vive la France, et vive l’Europe !