Le texte adopté en première lecture à l’Assemblée nationale après un débat tronqué et qui sera discuté début octobre au Sénat ne règle aucun des problèmes qu’il entend résoudre. Il va aggraver la situation des salariés les plus fragilisés. Le recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans contraint les salariés ayant commencé à travailler tôt à cotiser au-delà de la durée légale. L’obligation faite de travailler plus longtemps ne tient que pour autant que les entreprises gardent leurs seniors (dont elles se séparent en moyenne à 58,9 ans) et que l’économie crée les emplois nécessaires pour intégrer les chômeurs et les jeunes entrants sur le marché du travail. Faute de quoi, on ne ferait que reporter le déficit du régime vieillesse vers l’assurance chômage. Cette évidence est négligée, à l’heure où les gouvernements européens s’apprêtent à déployer des plans de rigueur dont l’effet sera de tuer la reprise et l’emploi. Enfin, le passage de 65 à 
67 ans, pour la liquidation sans décote de la retraite des carrières discontinues, est une ignominie sociale.

Au-delà des slogans, les progressistes doivent proposer des pistes crédibles de réforme. Les hypothèses pessimistes du COR (Conseil d’orientation des retraites) servent généralement de référence. Celles-ci sont pourtant susceptibles d’être révisées. La conjoncture peut s’améliorer grâce à une autre politique économique. La part des salaires dans la valeur ajoutée peut se relever un tant soit peu (un accroissement de 1 % de la masse salariale dans la valeur ajoutée rapporte 1,9 milliard de cotisations sociales supplémentaires). La démographie peut évoluer (le taux de fécondité est désormais supérieur à 2 enfants par femme et les générations du baby-boom s’éteindront progressivement). Auxquels cas, les contraintes de financement du régime se détendraient considérablement. L’allongement de la durée de cotisation à 41,5 annuités, prévu par la loi Fillon en 2020, ne serait alors aucunement inéluctable. Il faudra fixer un rendez-vous vers 2025, l’horizon le plus lointain que l’on puisse raisonnablement considérer. En attendant, en admettant les hypothèses usuelles, ce sont 40 milliards qu’il s’agit de dégager à cet horizon.

Une réforme progressiste, telle que celle proposée par le PS, doit maintenir la durée légale à 60 ans afin de permettre à ceux qui ont commencé tôt de liquider à taux plein leur retraite après quarante années de 
cotisation (les autres partant à taux plein après quarante années de cotisation, 
au-delà de 60 ans, comme c’est déjà le cas aujourd’hui). Elle doit autoriser la liquidation sans décote à 65 ans des carrières discontinues ou incomplètes. Elle doit ouvrir la négociation sur la pénibilité, réduite au handicap par la droite et auparavant traitée dans le cadre de régimes spéciaux. Elle doit tenir compte du fait que la part des salaires dans la valeur ajoutée, socle du financement par cotisation sociale du régime, ne s’est pas redressée. En attendant une reprise future de l’emploi et des salaires, elle doit élargir l’assiette de financement du régime, ce que s’est résolu à faire trop timidement le gouvernement, qui taxe trop faiblement le capital, les stock-options et les hauts revenus, de surcroît sans lever le bouclier fiscal.

Le financement envisagé par le PS combine augmentation des cotisations et élargissement de l’assiette de financement.

Les cotisations salariales et patronales augmenteraient de 0,1 % par an chacune entre 2012 et 2021. Le rendement d’une telle mesure serait de 12 milliards d’euros en 2025.

L’élargissement de l’assiette consisterait :

– à taxer les revenus du capital (stock-options et bonus) au taux de 38 %. Ceci rapporterait 2,3 milliards ;

– à supprimer les niches sociales sur l’intéressement et la participation en taxant ces revenus à hauteur de 20 %. Le rendement de cette mesure serait de 3 milliards ;

– à appliquer la CSG sur les revenus du capital exonéré de cet impôt (à l’exception du Livret A et des plus-values sur la résidence principale). Cela rapporterait 7 milliards ;

– à créer une contribution sur la valeur ajoutée (dérivée de la nouvelle taxe professionnelle), tout en en exonérant les PME. 
Le gain serait de 7 milliards ;

– à créer une surtaxe de 15 % sur l’impôt sur les sociétés payé par les banques. 
Le produit de cet impôt doit abonder le fonds de réserve des retraites dont les intérêts 
devraient s’accroître de 3 milliards par an.

Outre qu’il est réaliste, ce projet est progressiste et pragmatique. Progressiste parce qu’il taxe les revenus du capital et les banques. Il s’attaque à de nombreuses niches sociales et fiscales injustifiées. Il fait contribuer les profits au financement du régime en étendant aussi l’assiette de financement à la valeur ajoutée des entreprises. Pragmatique parce qu’il fait jouer la solidarité nationale à travers l’impôt (par le biais de l’élargissement de l’assiette), à côté des cotisations, dont l’augmentation exclusive (dans une logique pure de salaire indirect) aurait nui au pouvoir d’achat des salariés et à leur emploi dans les PME.