L’union monétaire européenne connaît depuis l’année dernière la plus grave crise de son histoire. La situation actuelle – qualifiée par beaucoup de « crise de l’euro », eu égard à l’énorme dette publique de certains pays membres – menace l’intégration européenne dans son ensemble. Il a fallu sauver d’abord la Grèce puis l’Irlande et le Portugal de la banqueroute par le biais d’aides financières européennes communes, dont l’objectif était de garantir la solvabilité de ces États et d’éviter une faillite nationale doublée de répercussions imprévisibles pour l’espace monétaire européen. L’Union européenne a déployé un parapluie provisoire, dans un premier temps, d’un montant total de 750 milliards d’euros, qui doit à partir de 2013 déboucher sur un mécanisme européen de stabilité (MES) pérenne.

Il était et est impératif de soutenir solidairement les États européens qui traversent une grave crise financière et d’instituer un mécanisme de protection durable de l’euro dans son ensemble. Les mesures de protection et les plans de sauvetage actuels sont toutefois trop limités et ne peuvent suffire, loin s’en faut, à sortir durablement l’Europe et la monnaie commune européenne de la crise. Ils s’attaquent uniquement aux symptômes mais ne luttent pas contre les causes plus profondes des crises financières des États.

Il faut par conséquent réformer en profondeur la politique économique, financière et sociale européenne dans le cadre d’un gouvernement économique européen démocratiquement légitimé et doté d’une grande capacité d’intervention. L’enjeu n’est rien de moins que d’en finir avec les erreurs originelles de l’union monétaire européenne : le manque d’encadrement de la monnaie commune par une politique sociale et économique commune et concertée.

Les chefs d’État et de gouvernement européens, en majorité conservateurs et libéraux – en tout premier lieu la chancelière allemande et le Président Sarkozy – se sont refusé bien trop longtemps à débattre d’une gouvernance économique européenne. Ils ont sous-estimé l’ampleur de la crise monétaire et financière. Ils ont réagi et usé de tactiques au lieu d’anticiper et ont finalement manqué de la vision politique dont l’Europe aurait eu cruellement besoin pendant la crise.

L’Europe régie par les conservateurs a trop hésité.Elle a réagi bien trop tard aux défis posés par la monnaie commune et inutilement continué à réduire la confiance des marchés financiers envers l’espace monétaire européen. À ce jour, la crise de la zone euro n’est toujours pas surmontée.

Les avancées décidées lors du dernier Conseil européen en mars 2011 – réforme du pacte de stabilité et de croissance, accord sur les principes d’un mécanisme de stabilisation européen durable et sur un pacte pour l’euro – sont bien en deçà du grand élan politique nécessaire à la mise en œuvre d’un véritable gouvernement économique européen. Ce sont des initiatives qui visent pour l’essentiel uniquement la rigueur budgétaire et une austérité stricte, considérées comme la voie royale pour sortir de la crise la totalité de l’Union européenne et des États membres de l’UE.

C’est pourtant une approche aussi erronée que dangereuse. Elle réduit en effet la crise monétaire européenne à une crise d’endettement des pays membres et oblitère ainsi totalement une cause centrale de la crise actuelle qui traverse la zone euro : la crise des marchés financiers internationaux déclenchée par une spéculation outrancière qui a contraint à plusieurs reprises les États membres de l’Union européenne à s’endetter plus profondément pour empêcher un effondrement total des marchés financiers. Ce sont les contribuables qui vont devoir payer la note de la crise. A cause des conservateurs européens, les banques et les spéculateurs, dont les opérations financières hasardeuses ont pourtant provoqué la crise, s’en sortent sans avoir à en porter les conséquences. Ce n’est ni économiquement pertinent ni socialement juste.

Les initiatives et réformes actuelles sont insuffisantes parce qu’elles prescrivent une voie, celle de l’austérité économique, censée être le remède universel pour tous les États membres. Elles négligent inconsidérément des disparités économiques et des déséquilibres parfois considérables entre les États membres de l’UE et menacent de creuser encore les fractures économiques au sein de l’union monétaire et économique, au lieu de les combler. En dépit de réformes et d’économies considérables, la Grèce ne sera probablement pas en mesure de revenir sur les marchés en 2012. Cela montre que le plan d’aide de la Grèce n’était ni assez équilibré ni assez pérenne. La population ploie sous les mesures d’austérité drastiques, l’activité économique recule et les intérêts élevés annulent toute marge de manœuvre pour réaliser les investissements pourtant impérieux. La croissance économique nécessaire à une consolidation fait défaut.

Une politique d’austérité ciblée de cette nature passe non seulement à côté de son objectif annoncé: remettre sur pied le pays en crise concerné. Elle met également en danger la solidarité et la cohésion sociale dans l’Europe entière en suscitant de l’incompréhension et du mécontentement autant au sein de la population que parmi les États donateurs et destinataires.

Les bases d’une gouvernance économique et sociale plus forte et plus efficace

Les initiatives actuelles ne permettent pas de fonder un gouvernement économique européen fort en réponse à la crise financière et monétaire. Il est nécessaire d’adopter à cet effet d’autres réformes, bien plus vastes :

Les décisions prises à ce jour resteront inopérantes car leur but est d’imposer simplement une réduction de l’endettement sans mettre en place simultanément des instruments susceptibles de générer des recettes supplémentaires permettant à l’UE et à ses États membres de financer les nécessaires investissements futurs. À cet égard, la revendication centrale du SPD et du PS est claire : nous voulons une taxe sur les transactions financièresen Europe qui fasse participer les responsables de la crise à ses coûts. Cette taxe doit figurer au cœur du développement de la politique financière et fiscale européenne. Des études scientifiques estiment qu’une taxe modérée à hauteur de 0,05 % permettrait de rapporter des recettes à hauteur de 200 milliards d’euros annuels. Une telle taxe sur les transactions financières en Europe permettrait aussi de restreindre les spéculations à court terme, nuisibles pour les marchés financiers.

Une orientation de tous les États membres sur une même rigueur budgétaire et un gel des salaires est trop simpliste et ignore les enjeux complexes d’une politique économique et financière européenne concertée. Il serait au contraire indispensable de mettre en œuvre des règles et objectifs communs qui garantissent un équilibre entre la compétitivité à l’exportation et la demande sur le marché intérieur dans tous les États membres. Les « pays excédentaires » doivent consolider leur demande nationale et les « pays déficitaires » améliorer la productivité de leur économie. Les instruments adoptés jusqu’ici par les chefs d’État et de gouvernement pour réduire les déséquilibres économiques font certes un pas dans le bon sens. Mais il leur manque une dimension sociale forte, qui garantisse les minimas sociauxet donne en même temps des incitations à l’investissement. Il faut aller au-delà de la série de mesures arrêtées par le Conseil européen en mars 2011 et donner rapidement naissance à un programme de croissance européen qui soutienne en particulier l’activité économique et la compétitivité des États membres affaiblis et qui, grâce aux excédents de recettes dans ces États membres, stabilise l’union monétaire dans son ensemble.

Le gouvernement économique européen doit en outre créer un cadre durable pour refinancer les États de la zone euro. On ne peut pas se contenter de compter sur les sommes débloquées par le parapluie actuel et par le futur mécanisme pérenne de stabilisation. L’assainissement d’un pays fortement endetté ne doit pas être uniquement à la charge des contribuables. Les créanciers privés doivent également assumer leurs responsabilités. Ce processus doit être assuré dans le cadre du mécanisme pérenne de stabilisation. À cela devrait s’ajouter l’émission d’euro-obligations ou la mise en place d’autres mécanismes qui permettent aux pays de la zone euro de refinancer à meilleur coût une partie de leur dette sur les marchés. Les euro-obligations doivent toutefois s’inscrire dans un projet politique global qui comprend l’implication des créanciers dans les pays les plus touchés, une responsabilité solidaire pour la totalité de la dette publique restante de la zone euro, en lien avec la réalisation des autres étapes nécessaires à l’institution d’un gouvernement économique européen. Les euro-obligations ne sont pas seulement un instrument permettant de créer des cadre durable de refinancement. Elles peuvent conjointement donner un signal fort aux marchés financiers sur la fermeté et la solidarité européenne.

Il est en outre impératif de faire de nouveaux pas vers la réforme des marchés financiers et du secteur bancaire en Europe. Lors des négociations des directives sur la régulation des agences de notation, des hedge funds et de la titrisation des risques de crédit, les conservateurs et libéraux européens se sont contentés de compromis a minima. Il reste beaucoup à faire pour redonner aux banques leur fonction originelle de service, c’est-à-dire d’instituts qui réunissent des capitaux et alimentent l’économie avec des crédits. Il faut réduire notablement encore l’attrait que constitue l’investissement d’argent excédentaire – qui fait cruellement défaut ailleurs – dans des spéculations à haut risque.

– Les banques doivent posséder des parts de capital propre plus élevées.

– Il reste impératif d’accroître la régulation des produits hautement spéculatifs, comme les produits financiers dérivés, et d’améliorer le contrôle et la transparence, par exemple grâce à l’introduction d’obligations pour le commerce, par la création d’organismes de compensation (clearing) ou encore par l’interdiction de certains produits.

– Il est également inéluctable de mettre en œuvre un contrôle encore plus efficace des agences de notation. Il faut veiller à ce que les « arbitres » ne soient pas aussi des « joueurs ». Une régulation européenne est en train de se constituer. Il serait cependant encore préférable de créer des agences de notation de droit public.

– Il faut changer les règles comptables afin d’identifier tous les risques et engagements dans le résultat global.

– Il faut constituer un véritable fonds de garantie financé par les banques, capable de financer les restructurations et la liquidation des instituts en situation critique.

– Il faut renforcer la protection des épargnants et des clients des banques en séparant les activités de dépôt de celles d’investissement.

En matière de politique fiscale, l’assiette fiscale commune va dans la bonne voie. Mais elle doit absolument être associée à un encadrement des taux planchers des impôts sur les sociétés. C’est le seul moyen d’empêcher concrètement le dumping fiscal et une compétitivité négative.

Une gouvernance économique européenne doit aussi posséder une forte dimension sociale. Les conservateurs et les libéraux, qui ont la majorité au Conseil européen, à la Commission européenne et au Parlement européen refusent jusqu’à présent de faire un pas dans cette direction. Pour le SPD et le PS en revanche, les choses sont claires : nous voulons qu’un pacte de stabilité sociale fasse partie intégrante du gouvernement économique européen. Nous y lions les revendications suivantes :

– des objectifs communs des États de l’Union européenne en matière de dépenses sociales et éducatives qui soient proportionnées aux performances économiques de chaque pays ;

– une évolution des salaires minimums dans chaque État membre de l’UE, en fonction du revenu national moyen de l’Etat ; les salaires devant suivre les hausses de productivité ;

– des normes minimales en matière de prestations sociales (par ex. assurance vieillesse, maladie, chômage) ;

– une clause de progrès social, ancrée dans le droit communautaire primaire, qui stipule que les libertés économiques fondamentales du marché unique européen ne prévalent pas sur les droits sociaux fondamentaux.

Cette politique sociale et économique européenne concertée dans le cadre d’une véritable gouvernance économique européenne permettra une croissance économique durable et un niveau d’emploi élevé. Nous nous engageons en outre en faveur de l’élaboration d’un Pacte européen des échanges extérieurs qui stipule la prise en compte du respect des normes sociales et environnementales dans les relations commerciales de l’Union Européenne avec le reste du monde ainsi que l’ancrage de ces normes dans les règles du commerce international. Le « carré magique » pour l’Europe, c’est une monnaie stable, un commerce extérieur performant et une croissance économique qui permette à la fois un niveau d’emploi élevé et la durabilité écologique. C’est la bonne voie pour la politique sociale et économique de l’Europe pour l’avenir. Ce n’est cependant pas celle qu’ont empruntée les conservateurs et les libéraux sous la conduite franco-allemande de la chancelière Merkel et du président Sarkozy.

Une gouvernance économique européenne doit être pleinement démocratique

À cela s’ajoute le fait que Mme. Merkel et M. Sarkozy entendent imposer au reste de l’Europe un directoire. Non seulement ils ont irrité nos partenaires européens en ayant conclu à plusieurs reprises des accords non concertés avec les autres Etats membres en amont des derniers Conseils européens, puis en les plaçant devant le fait accompli. Mais en plus, en faisant du Conseil européen, donc des chefs d’État et de gouvernement, l’instance décisionnelle centrale de la politique financière et économique européenne, ils ont bouleversé les structures actuelles de l’Union européenne. La Commission européenne et le Parlement européen, organes communautaires du triangle institutionnel de l’UE, sont affaiblis au profit d’une logique intergouvernementale au sein du Conseil européen. C’est une régression pour la démocratie et la culture politique démocratique au sein de l’Union européenne.

Un gouvernement économique démocratiquement légitimé ne peut pas voir le jour dans ces conditions. Il suppose en effet que la Commission européenne, le Parlement européen ainsi que les parlements nationaux prennent largement part aux grandes décisions qui incombent à un gouvernement économique européen en matière de politique financière, économique et sociale.

Contre une renationalisation – oser plus d’Europe

Les conservateurs et les libéraux européens – et en tout premier lieu les gouvernements français et allemand – sont en train de ruiner les chances que l’Europe s’en sorte mieux après qu’avant la crise. Nous ne devons pas les laisser faire. Les enjeux sont trop importants. Si l’Europe ne parvient pas à donner une réponse forte et unie à la crise, une réponse qui conjugue compétitivité économique et justice sociale, alors le projet d’unification européen risque de nourrir le ressentiment de la population. Et ceux qui pensent que moins d’Europe est la bonne réponse à la crise pourrait alors l’emporter.

Mais ceux qui conçoivent l’Europe comme un lieu de marchandage entre des intérêts nationaux, voire d’une renationalisation politique, sont foncièrement dans l’erreur. Ils négligent le fait que seule une Europe forte et unie dans la solidarité est capable d’apporter une réponse convaincante aux défis de notre époque, qu’il s’agisse de la réorganisation des marchés financiers, de la gouvernance économique, du changement climatique ou de l’instauration, à l’échelle mondiale, d’une politique de désarmement et de paix responsable.

Oser plus d’Europe – voilà la bonne voie pour aujourd’hui. Et c’est la voie dans laquelle nous nous engageons ensemble, sociaux-démocrates allemands et socialistes français. Un gouvernement économique européen qui agit efficacement, doté d’une orientation sociale et reposant sur des principes démocratiques, doit en constituer le principal projet d’avenir.