Isabelle Thomas, rapporteure. – Monsieur le Président, ce règlement de pêche de grands fonds est un règlement hautement symbolique, qui a fait couler beaucoup d’encre. On pourrait parfois se demander pourquoi, et pourtant les réponses existent.
D’abord, parce que nous sommes au cœur de la question du développement durable, c’est à-dire au cœur du fameux triangle qui devrait être équilatéral, défini à Rio, entre environnement, économie et social. La pêche de grands fonds, c’est une activité économique qui comporte, outre la fonction sociale de ses emplois, également une fonction sociale alimentaire, et qui a, bien sûr, un fort impact environnemental. Mais au delà, il y a, chez nos concitoyens, une grande inquiétude quant à ce que nous ferons de nos océans.
Depuis 2012, lorsque la proposition d’interdiction de la pêche de grands fonds est arrivée de la Commission Barroso, on a pu dire – en tout cas moi j’en avais la certitude – que l’on pouvait faire vivre ce développement durable, qui n’est souvent qu’un slogan, la certitude qu’un compromis était possible – pas forcément un compromis entre les groupes politiques, ça, c’est toujours possible, ou presque – mais un compromis sur les grands enjeux, à savoir, justement, les fonds marins vulnérables à protéger, les espèces à protéger, mais aussi l’activité économique et ses emplois et la fonction alimentaire.
Il faut le dire, il y a eu beaucoup de bruit, beaucoup de fureur, des torrents d’injures, des menaces de mort dont j’ai été victime, des pressions incroyables, mais, pourtant, nous avons travaillé, au Parlement européen et au Conseil, et nous avons obtenu un accord qui – je le crois en tout cas – répond à nos priorités et à tous ces objectifs.
Les résultats, quels sont-ils? Tout d’abord, le maintien de l’activité. Ce n’est pas rien, il s’agissait quand même de 760 navires. Deuxièmement, le gel de l’empreinte, c’est-à-dire la définition d’une zone où nous pourrons continuer à pêcher en grands fonds, mais qui est limitée à celle qui a été en vigueur entre 2009 et 2011. Une limite bathymétrique qui interdira d’aller pêcher au-dessous de 800 mètres de profondeur. Le contrôle renforcé et des sanctions renforcées pour cette pêcherie spécifique. Une vigilance scientifique tout à fait exceptionnelle dans l’activité de pêche, avec 20 pour cent de cette activité qui sera couverte par des observateurs scientifiques. Des études d’impact nombreuses et les enregistrements des captures, y compris des espèces non ciblées.
Certes, nous n’avons pas choisi la facilité. Il aurait été beaucoup plus simple sans doute de faire ce qu’avait proposé la Commission Barroso, à savoir de tout interdire, ou encore plus simple, tout aussi simple en tout cas, de tout autoriser. Sur le plan juridique, cela aurait était tout à fait facile.
C’est ce qui explique la difficulté et la technicité de ce règlement, c’est que justement nous avons voulu essayer de faire converger toutes ces exigences et tous ces enjeux. Cela explique aussi que le Conseil ait mis deux ans à s’accorder, traversé par de nombreuses contradictions. Cela explique également que nous ayons usé deux présidences du Conseil et, à cet égard, je voudrais remercier la présidence luxembourgeoise, qui a initié ce travail, et la présidence néerlandaise, qui l’a conclu, et qui nous ont accompagnés pendant neuf mois – le temps d’une gestation – et cinq trilogues.
Mais, bien sûr, c’est avant tout mes collègues et leurs équipes et les équipes du Parlement que je voudrais remercier ce soir. Nous avons travaillé à un haut niveau de technicité, tous ensemble. Nous avons travaillé neuf mois, plus de dix réunions de rapporteurs fictifs, nous avons fait bloc vis-à-vis du Conseil, même si nos positions n’étaient pas toujours éloignées.
Pour conclure, je voudrais vous dire que, si je suis heureuse, c’est qu’il n’y a que deux perdants. Il n’y aura que deux perdants lors du vote, je l’espère: ceux qui voulaient tout interdire et ceux qui voulaient tout autoriser pour que le profit soit la seule règle. Ceux qui ont gagné, ce sont ceux qui refusent que les trois angles du triangle du développement durable définis à Rio sombrent dans le triangle des Bermudes et croient que l’intelligence humaine peut triompher.
Isabelle Thomas, rapporteure. – Monsieur le Président, Madame la Commissaire, même si je regrette un peu que M. Vella ne soit pas parmi nous, pardonnez-moi. Je voudrais, bien sûr, répondre sur le fait que tout compromis génère des frustrations. De M. Ferreira à M. Mato ou de Mme Engström à M. Millán Mon, en tout cas, à eux, je voudrais dire deux choses: la première, c’est que l’accord est évolutif et les études d’impact prévues, les évaluations, permettront de le faire évoluer dans le bon sens, d’autant plus – et c’est la seconde chose que je voulais dire – que la dimension scientifique est probablement une des plus importantes afférentes à un règlement de la pêche. Que ce soit le reporting de toutes les prises, mais aussi les études d’impact, les observateurs scientifiques – nous en avons parlé –, tous ces éléments nous permettront d’améliorer notre connaissance sur les systèmes marins vulnérables, mais aussi sur les espèces non ciblées.
Je fais donc le vœu que toutes ces données scientifiques, avec toutes ces évaluations et ces études d’impact, nous permettront de faire encore mieux la prochaine fois et de générer moins de frustrations que celles générées aujourd’hui. En tout cas, je voudrais remercier une fois de plus tous les rapporteurs fictifs, Mme Barandica, M. Jadot, M. Ferreira, M. Mato, bien sûr, je vais en oublier – voilà, il ne fallait pas faire ça –M. Affronte, je vous remercie vraiment chaleureusement pour tout le travail accompli, avec vos équipes bien sûr, et vous remercie de ce que, à la fin, ce soit la raison et la rationalité qui l’aient emporté.