Inscrire la « discipline budgétaire » aux frontons de nos constitutions est une absurdité. La réduction des déficits est souhaitable lorsque l’économie tend vers le plein-emploi. Le désendettement permet alors de constituer les marges de manœuvres nécessaires pour l’emprunt, nécessaire pour soutenir l’activité lorsque celle-ci se retourne. A contrario, la rigueur budgétaire n’est pas crédible lorsque la croissance ralentit.

 

 

L’AUSTÉRITÉ TUE LA CROISSANCE ET LES RECETTES FISCALES INDUITES PAR CETTE DERNIÈRE

 

Les politiques d’austérité sont en passe de faire replonger l’Europe dans la récession. Seuls, ceux qui entendent réduire le périmètre des services publics et de la protection sociale obligatoire s’en satisferaient. Le Royaume Uni, qui refuse la monnaie unique, subit également le choix de l’austérité, comme quoi une sortie de l’euro n’épargnerait personne de commettre l’erreur de la rigueur en cette période de pré-récession. La France est d’ores et déjà entrée dans un cercle vicieux. L’austérité tue la croissance et les recettes fiscales induites par cette dernière. Les déficits se creusent, malgré la rigueur, appelant de nouvelles mesures d’austérité. Celles-ci exerceront un effet récessif. Les rentrées fiscales escomptées diminueront à nouveau. De nouveaux plans de rigueur seront mis sur pieds.

 

Ainsi, après cet été économique meurtrier, le gouvernement a dû engager un premier plan de rigueur de 1 milliards pour 2011, et de 8 milliards pour 2012. Depuis, les prévisions de croissance ne cessent d’être revues à la baisse. Le gouvernement prévoit désormais 1% en 2012. Ceci l’a conduit à annoncer un deuxième plan de rigueur de 8 milliards pour respecter le rythme de réduction des déficits demandé par la Commission. La Commission, quant à elle, anticipe maintenant une croissance de 0,6% en 2012 et l’OCDE 0,2%. Or un défaut d’1 point de croissance (20 milliards) engendre une perte de 9 milliards de recettes fiscales et sociales. Il faudra sans doute un troisième plan de rigueur pour rester sur la trajectoire devant conduire à un déficit public de 3% du PIB en 2013.

 

On n’ose imaginer la situation, pour le gouvernement qui sera issu des urnes en mai 2012, si l’économie entrait en récession en 2013. Dans le programme national de stabilité établi dans le cadre du Semestre européen que la France a remis à la Commission, le gouvernement faisait (et fait toujours) l’hypothèse d’une croissance à 2,5% en 2013. Si la croissance était nulle, c’est 22,5 milliards de recettes fiscales qui feraient défaut et des déficits qui se creuseraient d’autant. C’est pourquoi, compte tenu du retournement conjoncturel, l’objectif d’un déficit budgétaire de 3% en 2013 n’est en aucun cas crédible, sauf à mettre en œuvre un plan de rigueur drastique, aussi impopulaire qu’inefficace tant il risque d’anéantir tout espoir de reprise.

 

 

DISTINGUER LE BUDGET DE CAPITAL DE L’ETAT DE SON BUDGET DE FONCTIONNEMENT

 

La véritable crédibilité est d’annoncer que les politiques de rigueur sont aujourd’hui impraticables. Brandir des objectifs de réduction des déficits intenable ne fait qu’attiser le feu de la sanction des agences de notation. Il est possible de réduire la composante structurelle des déficits (en combattant la dette improductive), par une bonne réforme fiscale. Mais, pour réduire les déficits conjoncturels, dus à la crise, il faut avant tout relancer la croissance. Pour stimuler la croissance, à l’heure où l’investissement est en panne, il faut permettre aux Etats de financer les investissements publics (par le biais de la dette productive), nécessaires pour préparer l’avenir. L’investissement public représente plus de 3% du PIB en France. Il est réalisé au deux tiers par les Régions, Départements et Communautés de communes et pour un tiers par l’Etat. La mise en œuvre d’une nouvelle politique industrielle rendra nécessaire son déploiement.

 

 

 

 

A cet égard, la proposition de distinguer le budget de capital de l’Etat de son budget de fonctionnement, faite à son époque par Keynes dans le Livre jaune remis à Lloyd George, alors chef du Parti libéral-démocrate britannique, mérite qu’on y prête attention. Cette règle s’applique de fait dans les collectivités territoriales, qui ont l’obligation d’équilibre de leur budget de fonctionnement et qui ne s’endettent que pour financer les investissements. Dans le débat sur le paquet gouvernance, les socialistes au Parlement européen ont adapté cette proposition, plus actuelle que jamais, en proposant d’exclure du calcul des déficits les dépenses d’investissement, afin de transformer le pacte de stabilité en véritable pacte d’investissement. Ceci permettrait notamment d’engager de véritables « grands emprunts » productifs, mobilisant l’abondante épargne qui circule sur les marchés financiers. Conservateurs et libéraux nous firent la sourde oreille.

 

 

ADAPTER LES STATUTS DE LA BCE AFIN DE L’AUTORISER À MONÉTISER LES DÉFICITS PUBLICS

 

Lors du timide plan de relance de 2008, le « petit emprunt » d’alors aurait pu accoucher d’une nouvelle stratégie française de ré-industrialisation, si le président de la République avait renoncé au tournant de la rigueur et tenté de convaincre la chancelière allemande de réformer le pacte de stabilité dans cette direction. Il s’est malheureusement aligné sur les exigences de la chancelière allemande.

 

La « règle d’or », imposant l’équilibre budgétaire, qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy proposent d’inscrire, ne fait aucune part à cette impérieuse nécessité de relancer la croissance. Quitte à modifier le Traité de Lisbonne, comme le propose la chancelière, le moment était venu de créer un véritable Trésor européen, émettant des euro-obligations.

 

Outre le financement à bas taux des Etats, celles-ci auraient permis de drainer l’épargne vers un véritable budget fédéral, nécessaire pour lancer de grands projets dès lors que les budgets des Etats membres sont encadrés.  La modification du Traité aurait également dû être l’occasion d’adapter les statuts de la BCE afin de l’autoriser à monétiser les déficits publics, comme le font la FED américaine et la Banque d’Angleterre. La BCE est certes intervenue sur le marché secondaire pour soutenir le cours des titres publics dont les banques ont commencé à se délester. Mais le rachat des titres publics sur le marché primaire par une BCE autorisée à se comporter en prêteuse en dernier ressort serait la seule manière d’étendre franchement les taux des bons du trésor sur un marché primaire où les nouvelles émissions de titres publics trouvent de moins en moins de preneurs.

 

L’Italie, malgré l’arrivée de Mario Monti au pouvoir, et même l’Allemagne, ont rencontré quelques difficulté à y lever des fonds. Malheureusement, la chancelière Merkel continue d’écarter la voie des euro-obligations et refuse toujours obstinément d’envisager l’extension du rôle de la BCE.

 

Le nouveau Traité que la droite ordo-libérale allemande entend imposer privera donc l’Union européenne et ses Etats membres de politique budgétaire, tout en continuant à amputer la banque centrale de prérogatives essentielles. Pour la première fois, des choix de politique économique seraient inscrits dans le marbre des constitutions et assujettis à l’autorité d’une Cour de justice. Des sanctions automatiques seraient appliquées. Ce coup de force est inacceptable pour la démocratie