Liem Hoang Ngoc, rapporteur. − Madame la Présidente, chers collègues, l’action de la troïka suscite au moins deux types d’interrogations. Première interrogation: le contrôle démocratique des propositions faites aux États.

 

Au sein même de la troïka, les désaccords manifestes entre le FMI, la BCE et la Commission n’ont fait l’objet de délibérations dans aucune instance démocratique de l’Union. Le Parlement européen n’a jamais été consulté. C’est au sein de l’Eurogroupe, instance informelle où la voix prédominante de l’Allemagne prime, que les décisions les plus importantes furent prises.

 

Par ailleurs, la base légale de la participation de la Commission et de la BCE à une structure intergouvernementale telle que la troïka fait débat si l’on se réfère au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La BCE a notamment outrepassé ses prérogatives en imposant ses vues en matière de politique budgétaire et de restructuration des secteurs bancaires irlandais, chypriote et grec. La Commission n’a pas toujours été gardienne de l’acquis de l’Union, notamment à Chypre, en fermant les yeux sur la proposition faite par l’Eurogroupe de taxer les dépôts inférieurs à 100 000 euros.

 

Deuxième interrogation: cette absence de légitimité est d’autant plus grave que les politiques imposées, le pistolet sur la tempe, aux gouvernements et aux parlements nationaux font l’objet de nombreuses controverses. Quatre d’entre elles peuvent être mentionnées.

 

Premièrement, la dette grecque aurait pu être restructurée immédiatement pour éviter l’impact récessif d’une austérité budgétaire trop brutale. Telle était la position du FMI, qui avait révisé à la hausse ses estimations du multiplicateur budgétaire et qui privilégiait plutôt une dévaluation interne. Telle reste la position du FMI, qui estime qu’une nouvelle restructuration de la dette est nécessaire, alors que le taux d’endettement grec culmine à 175 % du PIB. En cas de nouvelle restructuration, on pourrait suggérer à la BCE, qui a racheté 34 milliards de dette grecque sur le marché secondaire, de prendre ces pertes, contrairement à ce qui s’est produit lors de la première restructuration. Ceci reviendrait certes à accroître la création monétaire, mais cela ne serait aucunement dommageable à l’heure où la déflation menace la zone euro.

 

Deuxièmement et deuxième erreur, la BCE a dégainé son bazooka – le programme OMT –, sans doute trop tardivement, seulement en septembre 2012. Mis sur pied plus tôt, ce programme aurait peut-être évité la contagion du Portugal et de Chypre.

 

Troisièmement, la combinaison d’une austérité budgétaire sévère et d’une dévaluation interne, c’est-à-dire d’une baisse des salaires, a tué la demande et plongé la Grèce et le Portugal dans une récession durable.

 

Quatrièmement, le plan de sauvetage du secteur bancaire irlandais, qui s’est élevé à près de 30 % du PIB, a pesé quasi exclusivement sur le contribuable et a préservé les intérêts des détenteurs seniors d’obligations bancaires. À l’époque, les mécanismes de solidarité, tels que le FESF ou le MES ainsi que l’union bancaire à venir, n’existaient pas. On pourrait, aujourd’hui, comme le suggère le gouvernement irlandais, transférer rétroactivement la partie de la dette publique consacrée au sauvetage des banques au MES ou exclure leurs charges d’intérêt du calcul des déficits publics.

 

Certes, le Portugal et l’Irlande ont à nouveau accès au marché pour financer leur dette mais les facteurs d’instabilité présents lorsque l’assistance fut demandée se sont partout exacerbés. La croissance reste atone; les taux d’endettement se sont envolés; le chômage, la pauvreté et les inégalités ont explosé.

 

Le rapport fait des propositions visant à améliorer le contrôle démocratique du Mécanisme européen de stabilité, appelé à devenir un véritable Fonds monétaire européen se substituant à la troïka.

 

Il faut placer le mécanisme européen de stabilité sous l’égide de la méthode communautaire: la codécision entre le Parlement européen et le Conseil doit prévaloir pour les recommandations de politique économique faites aux États en contrepartie de l’assistance financière.

 

Mes chers collègues, nos concitoyens reprochent à l’Europe son manque de transparence et de démocratie. Ils doutent de l’efficacité des politiques d’austérité qu’ils supportent de moins en moins.

 

En adoptant ce rapport, notre Parlement, seule institution européenne élue au suffrage universel direct, peut lancer un signal fort à nos concitoyens à la veille des prochaines élections. Il fixe un cap pour le prochain président de la Commission.

 

(L’orateur accepte de répondre à une question « carton bleu » (article 149, paragraphe 8, du règlement))

 

 

Liem Hoang Ngoc (S&D), réponse « carton bleu ». – Mon cher collègue, il me semble que les politiques budgétaires appliquées dans tous les États membres sont désormais des politiques procycliques. Avant la crise, ils s’agissait déjà de politiques procycliques. Il y a certes eu des plans de relance, mais c’est lorsque ces plans de relance ont été suspendus que la croissance s’est effondrée dans tous les pays européens, et en particulier dans les pays qui ont demandé assistance. Sans croissance, vous n’avez pas de rentrées fiscales et vous avez des dettes qui se creusent. Je n’ai pas le temps d’en dire davantage, mais je vous suggère de regarder attentivement les courbes dans tous les pays de la zone euro: les déficits baissent partout, mais les taux d’endettement s’envolent aussi partout. Là est le paradoxe des politiques procycliques, que vous semblez prôner.

 

Liem Hoang Ngoc, rapporteur. − Monsieur le Président, je voudrais remercier tous les collègues qui ont participé à ce débat qui s’est avéré fructueux, en ce qu’il a opposé des points de vue différents. Selon l’endroit où l’on est assis dans l’hémicycle, on a nécessairement des points de vue différents. C’est le propre de la démocratie.

Nous avons retrouvé ces points de vue différents au sein même de la troïka où des divergences sont apparues entre le Fonds monétaire international, la Commission et la Banque centrale européenne, divergences que nous avons soulignées dans le rapport. Comme quoi, il y avait d’autres politiques possibles. There were some alternatives.

Face à ces possibilités, où le débat a-t-il été tranché? Dans l’opacité la plus totale de l’Eurogroupe, comme l’a souligné ma collègue Mme Goulard tout à l’heure. C’est cette opacité qui rebute aujourd’hui nos concitoyens. Lorsque M. Dijsselbloem nous répond, quand il est accueilli au Parlement européen, que les délibérations au sein de l’Eurogroupe s’agissant de la troïka ne regardent pas le Parlement, ça choque les démocrates que nous sommes.

Pour nous, la démocratie en Europe, c’est la méthode communautaire et la méthode communautaire, ce n’est pas seulement l’implication du Parlement européen, c’est aussi le respect des objectifs de la stratégie Europe 2020. C’est aussi le respect de la charte des droits sociaux fondamentaux. C’est aussi, Monsieur le Commissaire, la reconnaissance du rôle des partenaires sociaux. À cet égard, le rôle des partenaires sociaux a été piétiné au Portugal lorsque la troïka a refusé l’application d’un salaire minimal à 500 euros au motif que cela compromettrait la competitivité portugaise.

Je ne doute pas que la future Commission, celle qui sera issue des prochaines élections européennes, saura se saisir de la feuille de route que nous fixons dans notre rapport. À ce propos, permettez-moi ici une digression. J’ai appris que M. Juncker était candidat à la présidence de la Commission. Or, M. Juncker, alors qu’il était président de l’Eurogroupe, était considéré comme le véritable président de la troïka. À cet égard, j’estime que c’est un très mauvais candidat pour la prochaine Commission européenne. Je pense que d’autres candidats, dans le camp progressiste, sauront se saisir de notre feuille de route.