L’article original se trouve en cliquant ici

 

Mercredi 12 avril, la Commission européenne a présenté aux députés membres de la commission des Budgets au Parlement européen la première mouture de sa proposition de budget pour 2012. Une présentation que l’eurodéputée française Estelle Grelier (S&D) juge décevante et timorée. Interview.

Toute l’Europe : Quel regard portez-vous sur le projet de budget 2012 présenté par la Commission européenne mercredi ? Quelles sont les principales modifications par rapport à 2011 ?

 

Estelle Grelier : J’ai participé à l’audition du commissaire Lewandowski qui a présenté le budget de manière extrêmement succincte, sans grande conviction je dois dire. Il a présenté des grandes masses budgétaires selon lesquelles les crédits de paiement seraient en augmentation de 4,9%, tout en sachant que l’année passée il avait présenté une première copie à 6% et qu’on avait fini comme vous le savez à 2,91% d’augmentation. Donc on s’imagine qu’il nous emmène également dans cette pente cette année.

 

Je pense qu’on est reparti dans un schéma identique : les discussions se sont de nouveau portées sur la question du financement d’ITER, de Galileo. C’est assez désespérant dans la redondance de la procédure et des arguments qui sont employés. Le Conseil est dans une logique d’austérité qui va être reprise par la Commission à son compte, et le Parlement va réclamer un paquet anti-crise qui manque dans ce budget. Je pense que ça va se résumer à cela.

 

Mais il s’agissait des premiers agrégats, il n’y a pas de chiffres particuliers. Je suis par exemple intervenue sur le programme d’aide alimentaire au profit des plus démunis qui n’a plus de base légale parce qu’il n’y a plus d’excédent et que ça ne peut plus être financé par la Politique agricole commune (en France cela concerne le Secours populaire, la Banque alimentaire etc.). Il faut retrouver une base légale. Et nous ne savons pas si ce programme va être maintenu ! De même, ce budget ne comporte pas de volet social.

 

Autant l’année dernière j’avais eu du mal à adhérer aux orientations politiques du Parlement sur le budget, autant cette année la rapporteure, Francesca Balzani, a expliqué qu’il fallait dans nos orientations générales que le budget se mette en mouvement au service de la Stratégie UE 2020 et en particulier de la croissance et de l’emploi. Il y avait une cohérence dans son rapport qu’on ne retrouve absolument pas dans la présentation de Janusz Lewandowski

 

Ainsi il a expliqué qu’il avait augmenté tous les postes de dépenses. Mais au final, l’augmentation globale est de 4,9%, ce qui n’est pas une grande augmentation on en conviendra. Les députés lui ont demandé comment il comptait augmenter toutes les politiques, quelle était sa méthode. Sa réponse est de dire qu’il va faire des économies dans le cadre d’une efficacité renforcée : on ne sait pas ce que cela veut dire ! Est-ce que cela signifie supprimer des programmes ? La Politique de cohésion arrive par exemple à son pic de consommation : on doit donc augmenter les crédits pour financer les projets en cours. Comment mettre en oeuvre cette augmentation ?

 

Toute l’Europe : Mais cela ne peut-il pas passer par des économies sur le fonctionnement des institutions, l’une des mesures phares présentées depuis quelques mois par le commissaire Lewandowski ?

 

E.G. : Le commissaire Lewandowski annonce une progression du budget de la Commission de 0%, ce qui en fait le bon élève de la classe puisque le Parlement est à 2,3% et la Cour de justice à 3,7%. Mais il n’a par contre pas su nous préciser, ce qu’il s’est engagé à vérifier, si cela vient ou non de transferts de personnel liés à la mise en place du Service européen pour l’action extérieure.

 

Le commissaire a été extrêmement faible dans sa présentation. Il est sous une pression énorme des Etats membres. Il n’a de cesse de faire des parallèles entre la réduction des déficits publics et les mesures d’austérité décidées par les Etats que nous devrions choisir également au niveau européen. Mais nous nous considérons que l’austérité rajoutée à l’austérité ça ne fait pas la croissance et l’emploi. Le budget de l’Union c’est un budget d’actions et investir pour l’avenir. Dans cette perspective il faut que le budget soit ‘boosté’ !

 

Toute l’Europe : Selon vous, les négociations sur ce budget pourraient-elles être aussi difficiles qu’en 2011, où le Parlement avait tenu tête au Conseil pour finalement accepter de limiter l’augmentation du budget à 2,91 % ?

 

E.G. : De toute manière, le cadre a été fixé par le Conseil puisque les Etats membres souhaitent rester en deçà du 1% du revenu national brut (RNB) en contribution nationale. Or la proposition de la Commission est à 1,01% du RNB… Les Britanniques se sont déjà exprimés en considérant que l’augmentation de 4,9% du budget était tout simplement inadmissible. On est reparti, et cela me désespère, dans la même voie que l’année passée !

 

On a sauté une année dans la présentation budgétaire et dans la réaction des uns et des autres : on est toujours face à des Etats qui refusent d’augmenter leur contribution nationale, qui souhaitent la geler, voire même la baisser pour certains, le Royaume-Uni en tête. D’un autre côté, on a un certain nombre de parlementaires qui désespèrent de ne pas trouver de majorité claire sur la question des ressources propres, point sur lequel la décision relève par ailleurs des Etats (et nous voyons mal comment cela pourrait se faire dans le cadre actuel). Le débat n’est objectivement même pas passionnant.

 

Toute l’Europe : Est-ce que cela est de mauvaise augure pour la définition du prochain cadre financier pluriannuel ?

 

E.G. : Je le crains oui. Ce qu’on nous explique en ‘off’ c’est que le vrai combat est celui que nous allons mener dans la négociation des futures perspectives financières (2013-2020). Peut-être d’ailleurs est-ce un moyen de nous faire lâcher prise sur le budget 2012… mais en même temps s’il n’y pas de ressources propres, ce projet va aller dans le mur !

 

Dernièrement, nous avons eu une réunion fort intéressante avec les représentants des assemblées de 27 Etats membres. Le but était de mettre en synergie budgets nationaux et européens dans la perspective de la Stratégie 2020. Celle-ci a pour objectif d’avoir un taux de population active beaucoup plus important et de réduire ainsi le chômage. Mais le problème c’est la méthode ! Le Conseil ne prévoit pas les moyens d’y arriver.

 

Alain Lamassoure qui est président de la commission Budget citait l’exemple du nouveau sarcophage pour Tchernobyl : il y aura des contributions de certains Etats membres puis éventuellement du budget européen. Donc non seulement les Etats membres font passer une partie de leur intervention au plan européen en dehors du budget de l’Union européenne, mais en plus ils font participer le budget européen. Il n’y a donc plus de subsidiarité !

 

Et comme le Parlement a cédé face au Conseil une fois l’année dernière, alors qu’il s’agissait de la première procédure budgétaire sous Lisbonne, je pense qu’il espère que nous cédions également cette année !

 

Toute l’Europe : Comment expliquer que le Parlement ne parvienne pas à jouer son rôle d’autorité budgétaire, rôle qui lui est reconnu par le traité de Lisbonne ?

 

E.G. : Le budget est désormais voté en codécision depuis le traité de Lisbonne. Auparavant, le Parlement était consulté uniquement pour avis. Le vrai problème aujourd’hui est que nous n’avons pas la possibilité d’aller sur le terrain des recettes, quand bien même tous les parlementaires le décideraient. Nous ne pouvons donc croiser le fer que sur la question des ressources propres.

 

En ce moment, nous faisons des rapports d’initiative, nous inscrivons des lignes pour mémoire dans la commission des Budgets, mais nous n’avons pas la possibilité de décider de l’instauration de la taxe sur les transactions financières ou de la taxe carbone. Donc nous sommes aujourd’hui restreints à réduire des dépenses dans un cadre financier qui est purement et simplement dicté par les Etats. Finalement, on nous demande de cautionner le sale boulot !

 

On a lâché la dernière fois alors que le traité nous donnait un nouveau pouvoir … on a joué les ‘gros bras’ puis on s’est écroulé bien avant la fin du match.

 

 

Toute l’Europe : Que pensez-vous de la proposition d’Alain Lamassoure et de Guy Verhofstadt sur l’abandon des contributions nationales et leur remplacement par une taxe carbone, la TVA, ou encore le recours aux eurobonds ?

 

E.G. : La priorité des priorités, c’est la taxe sur les transactions financières, et ce à plusieurs égards, y compris au plan symbolique. C’est une vraie bonne mesure. En ce qui concerne la TVA, quand on voit la situation sociale des citoyens et que la TVA est en France assise sur une base qui est particulièrement injuste, je n’y suis pas à titre personnel vraiment favorable.

 

Quant à la taxe carbone, on nous explique depuis le début que c’est très compliqué à mettre en place. Je n’aime pas qu’on nous donne des perspectives qui sont irréalisables dans un cadre qui ira avec le financement d’un projet européen ambitieux. Ma priorité est la taxe sur les transactions financières.

 

Naturellement on soutient également le recours aux eurobonds notamment pour le financement des infrastructures. Cela permettrait d’investir dans les 20, 30 prochaines années. Il est logique de financer ces investissements par l’emprunt, comme nous le faisons par ailleurs dans nos localités.

 

Les ressources propres sont notre cheval de bataille depuis septembre dernier. A ce stade, nous n’avons rien obtenu puisque nous attendons toujours la proposition de la Commission. Certes elle arrivera en juillet mais vous conviendrez que c’est encore loin. On nous avait dit que cette question serait abordée par la présidence hongroise … on attend toujours.

 

Quant aux Etats membres, ils mettent en avant des arguments de lobbyistes européens disant que si cette taxe est instaurée au plan européen, ils reconcentreront leurs flux sur d’autres secteurs, que les Etats ne les verront plus et qu’ils ne pourront par conséquent plus les taxer. Et donc que ce système bénéficiera au final aux Etats tiers et non à l’Union. Mais ce ne sont que des arguments fallacieux.