Edouard Martin, rapporteur. Madame la Présidente, Madame la Commissaire, chers collègues, effectivement, nous abordons ce rapport dans un contexte extrêmement compliqué puisque, vous le savez tous certainement, l’Europe est victime d’une importation massive d’acier provenant notamment de Russie et surtout de Chine à des prix défiant toute concurrence. C’est d’ailleurs une des questions que je poserai à Mme la Commissaire, tout à l’heure.

 

Pour resituer ce débat dans le contexte actuel, je rappelle que, en onze mois, le prix de la brame a été divisé par deux. Vous imaginez donc bien que, aujourd’hui, certains pays arrivent à produire de l’acier en dessous des prix de revient. Le rapport traite du développement durable de la production des métaux de base, et je souhaitais lui donner ce titre pour couper court à tous les fantasmes des uns et des autres, et de ceux qui nous disaient qu’il fallait choisir entre industrie et respect de l’environnement. Je me fais fort, à travers ce rapport, de démontrer que les deux sont possibles: maintenir l’industrie forte sur le territoire européen, la production de métaux de base, tout en respectant l’environnement, évidemment. Mais pour cela, il faut des moyens, il faut investir. Or l’Europe souffre depuis la crise de 2008 d’un manque d’investissements, ce qui, effectivement, a un impact sur la compétitivité mais aussi sur l’environnement. Voilà ce que je souhaiterais que l’Europe, que le Parlement européen à l’aube de la COP21, puisse défendre à travers des décisions urgentes à prendre, bien que l’Europe soit ce continent qui continue à défendre à la fois l’environnement et l’industrie.

 

Je rappelle simplement, pour vous donner une idée, que pour produire une tonne d’acier en Europe, on émet deux tonnes de CO2. La même tonne d’acier en moyenne produite en Chine émet trois tonnes de CO2. Par conséquent, il ne s’agit pas ici de mettre en place des mesures de protectionnisme, mais simplement des mesures d’équité. Aujourd’hui, la situation est donc très grave. Elle est d’autant plus grave qu’elle peut sonner le glas de notre industrie. Je dis bien qu’elle peut sonner le glas de notre industrie. Aujourd’hui, si nous regardons les chiffres concernant la Chine, nous constatons qu’elle possède 350 millions de tonnes de surcapacité de production d’acier. La consommation européenne équivaut à 170 millions de tonnes. Par conséquent, vous imaginez bien qu’avec la baisse de l’économie chinoise, ce pays va essayer, effectivement, à travers une politique beaucoup plus offensive, à travers du dumping et des aides publiques, d’écouler cette surcapacité de production d’acier. Les conséquences, on les connaît: c’est la fermeture de Redcar en Grande-Bretagne, c’est plusieurs milliers de suppressions d’emplois chez Tata Steel, c’est plusieurs mesures de chômage partiel annoncées un peu partout en France, en Espagne, en Italie, etc.

 

La vraie question de fond qui nous est posée collectivement aux uns et aux autres et que je vous pose, Madame Bieńkowska, – et je vous remercie d’être présente ce soir – est la suivante: « voulons-nous encore d’une industrie au niveau européen? » Parce que je vous le dis, il s’agit d’une question de vie ou de mort et il faut aller très vite. Cela peut aller très vite. Il ne faut plus attendre ni six mois ni trois mois, il faut prendre des mesures dès le 1er janvier 2016 si on veut encore garder cette industrie.

 

Pour résumer quelques points forts de mon rapport, je préconise effectivement d’utiliser les instruments de défense commerciale de manière un peu plus offensive contre les mesures anti-dumping, les mesures anti-subventions. Cette mesure d’équité, c’est l’ajustement carbone aux frontières, parce qu’il n’est pas question de faire payer le droit à polluer uniquement aux industriels européens et de fermer les yeux sur toutes les importations qui nous viennent d’ailleurs. Quand je dis ailleurs, il s’agit de la Chine, de la Russie et du Brésil. Ce n’est pas uniquement une visée contre les aciers chinois. C’est la possibilité – parce que là aussi les industriels nous disent qu’ils ont besoin d’avoir de la visibilité, notamment en termes de contrats énergétiques – qui pourra leur être donnée de signer des contrats à long terme. Puis, c’est effectivement la compensation des coûts indirects du CO2.

 

Je rappelle que ce rapport n’est pas uniquement celui d’Édouard Martin, même s’il porte mon nom. Nous avons visité dix pays européens. À chaque fois, nous avons rencontré des chefs d’entreprise, des élus locaux, des organisations syndicales et des ONG et, à quelques exceptions près, tout le monde est d’accord pour dire qu’il est temps que l’Europe défende aujourd’hui de manière plus ferme son industrie à travers ces mesures, qui sont partagées par l’ensemble du collectif. Pas plus tard que la semaine dernière, IndustriAll, la fédération européenne des syndicats de la métallurgie et de la sidérurgie, a effectivement validé le soutien à ce rapport.

Edouard Martin, rapporteur. – Monsieur le Président, Madame la Commissaire, chers collègues, je vous remercie pour ce débat très riche.

 

Je vais essayer de parler doucement, mais il faudrait m’accorder quelques secondes de plus, s’il-vous-plaît.

 

J’ai entendu des choses un peu invraisemblables. Je tiens simplement à rappeler que, depuis 2008 − et ce n’est pas M. Tajani qui va me contredire − l’Europe a lourdement payé la crise de l’acier. Nous avons fermé l’équivalent de 40 millions de tonnes de production. Quarante millions de tonnes! Je répète: « voulons-nous encore garder les 170 millions de tonnes? »

 

Mais, en l’occurrence, dans ce rapport on ne parle pas uniquement de l’acier même si nous sommes face à une crise de l’acier, cela a été rappelé; on parle de l’aluminium, du cuivre, du zinc, etc. Ce sont tous les métaux qui sont indispensables pour notre économie. J’ai aussi été étonné d’entendre quelques collègues, notamment M. Fox – c’est dommage, il est déjà parti –, déclarer que l’ajustement carbone aux frontières n’était pas une bonne réponse. D’autres ont dit qu’il s’agissait quasiment d’une mesure protectionniste et que, donc, ils n’en voulaient pas.

Je vais être très clair: si nous n’acceptons pas l’ajustement carbone aux frontières, effectivement, nous allons prendre des mesures protectionnistes, mais nous allons protéger les autres. Nous allons protéger l’Inde, la Chine, la Russie, le Brésil, etc. Parce que qu’est-ce que l’ajustement carbone aux frontières? Il ne s’agit pas d’une taxe, c’est l’idée du pollueur-payeur. Vous imaginez, à quelques semaines de la COP21, nous autres Européens allons envoyer le message suivant: la pollution ne sera payée que par les productions européennes? Les pollueurs externes à l’Union européenne seront exonérés de payer aussi pour leur pollution. C’est cela le message qu’on envoie. Voulons-nous l’assumer collectivement? Moi pas!

 

Je vais conclure en disant simplement que, maintenant, la balle est dans le camp de mes collègues, de nous autres. Nous voterons très prochainement. Par conséquent, chacun devra assumer ses responsabilités et le choix de son vote.

 

Je m’adresse à vous, Madame la Commissaire, soyez courageuse, ne vous laissez pas convaincre par des gens et des structures qui défendent des intérêts particuliers. Faites comme nous, défendez l’intérêt général car l’intérêt général, c’est la défense d’une industrie au service des 500 millions d’Européens.