Quand on veut réaliser une union politique, harmoniser les conditions sociales et fiscales d’un marché, se doter d’une politique étrangère et de sécurité commune, mettre en place une défense commune, prendre le chemin d’une Europe-puissance, la faire démocratiquement avec des citoyens conscients et acteurs… alors il ne faut pas s’étendre à l’infini.

La proposition d’ouverture de négociations en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne oblige à répondre à la question des frontières. La raison doit les arrêter au Maghreb, à la Turquie et à ses trois pays voisins Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan et à la Communauté des Etats indépendants, Russie, Ukraine, Biélorussie, Moldavie. Il faut s’en tenir là au risque de la dilution totale, qu’aujourd’hui on cherche à éviter à travers le traité constitutionnel.

Ce n’est pas seulement la Turquie qui n’est pas prête à l’ouverture de négociations. C’est l’Union  européenne qui n’est pas apte à s’ouvrir à un pays géographiquement situé en Asie, démographiquement déséquilibrant pour ses institutions, économiquement déstabilisant pour ses finances.

Faut-il poursuivre une promesse faite en 1963, pour des raisons géopolitiques liées à la guerre froide ? L’engagement de l’époque n’a plus rien à voir avec le contexte du XXIème siècle. A cette époque, l’Europe démarrait son marché économique. Aujourd’hui, elle cherche à construire son union politique.

Faut-il ouvrir l’Union européenne à la Turquie pour des raisons religieuses ? Curieux argument car il s’agit d’un pays laïc ! La faire adhérer parce que sa population pratique majoritairement la religion musulmane est une aussi mauvaise raison que de la refuser parce que cette pratique est dominante. Pour ceux qui mettent l’Islam en avant, pourquoi avoir rejeté le Maroc en 1987 ?

Enfin, comment ouvrir des négociations avec un pays qui refuse de reconnaître le génocide arménien de 1915, alors que la France l’a fait par une loi en 2001. Et comment ouvrir de telles négociations avec un pays qui occupe illégalement la partie Nord de l’Ile de Chypre ? L’Union européenne a aujourd’hui une de ses frontières dont la garde est assurée par des casques bleus de l’ONU. La Turquie doit renoncer à ses intransigeances.

Le Conseil européen du 17 décembre prochain ne peut pas passer tous ces problèmes sous silence.

Le Président de la République française ne peut pas se rendre à ce Conseil sans que l’Assemblée Nationale et le Sénat n’aient débattu sur cette question. A cette occasion, il doit donner sa position puis venir rendre compte après le Conseil.

Le despotisme éclairé ne peut être la méthode retenue pour la construction européenne. Celle-ci doit se faire par une démocratie assumée.

Bernard Poignant

Député européen

Président de la Délégation socialiste française

au Parlement européen

6 octobre 2004