Tribune publiée dans le Huffington Post par Eric Andrieu, Guillaume Balas, Pervenche Berès, Jean-Paul Denanot, Sylvie Guillaume, Louis-Joseph Manscour, Edouard Martin, Emmanuel Maurel, Gilles Pargneaux, Vincent Peillon, Christine Revault d’Allonnes Bonnefoy, Virginie Rozière, Isabelle Thomas

1000 milliards d’euros ! C’est la somme colossale qui échappe aux États chaque année en Europe. Jamais l’évasion fiscale n’a été aussi forte dans le monde.

En 2010, la Barbade, les Bermudes et les Iles Vierges britanniques ont reçu plus d »investissements’ étrangers que l’Allemagne. Les 50 plus grandes entreprises européennes ont domicilié un cinquième de leurs filiales dans des paradis fiscaux. Un quart des filiales des banques européennes ont fait de même. Les champions américains de l’économie numérique ne payent d’impôt ni là où ils collectent les données qui font leur richesse, ni là où ils vendent leurs produits.

Seule une réponse politique d’ampleur permettra de combattre ce fléau. C’est indispensable : il en va de la souveraineté des États et de l’Union face une mondialisation sauvage.

Plutôt que de répondre par la seule austérité face à des États tiraillés, depuis la crise des subprimes, entre endettement et appauvrissement, l’Europe doit tout faire pour empêcher le contournement de l’impôt.

Payer l’impôt, c’est défendre un contrat de société, c’est contribuer à l’intérêt général. Il n’y aura pas d’Europe politique sans Europe fiscale !

L’imposition en Europe devrait incarner le progrès, la solidarité et la citoyenneté européenne. Or, aujourd’hui, c’est tout le contraire. La liberté de circulation des capitaux et la liberté de prestation de services sans harmonisation fiscale – véritables péchés du marché intérieur – ont conduit à une détestable concurrence fiscale entre États, à la guerre de tous contre tous en Europe.

Au lieu de rassembler, la fiscalité est devenu une arme déloyale renforçant une Europe du chacun pour soi. Chaque État tente égoïstement à coup de rabais d’attirer les entreprises, les sièges sociaux, les contribuables les plus riches, les talents les plus prometteurs en appliquant les taux de prélèvements les plus bas possibles sur les ‘facteurs de production délocalisables’, ceux qui peuvent être déplacés et que l’on peut ravir à ses partenaires en pratiquant la danse du ventre fiscal. Ceux qui mènent les politiques fiscales les plus agressives y gagnent, un temps au moins, jusqu’à l’émergence d’une meilleure offre ailleurs. Mais globalement l’Europe y perd, et l’idée européenne s’y désagrège.

L’Europe doit promouvoir une fiscalité juste, celle qui assure la redistribution, indispensable à l’équilibre de nos sociétés et au dynamisme de nos économies ; celle qui favorise le travail et l’initiative plutôt que le capital et la rente ; celle qui soutient la transition écologique. La concurrence fiscale aboutit aux résultats exactement inverses : elle favorise le capital, qui peut aisément franchir les frontières sur un clic, profite aux hauts salaires et aux grandes fortunes ; elle installe une concurrence délétère vers le moins disant fiscal, social et environnemental, elle revient à défavoriser les producteurs européens et à accélérer les délocalisations.

Mettre un terme à l’enfer des paradis fiscaux et de la concurrence fiscale

Bien sûr, des avancées ont déjà eu lieu : la « directive épargne » par exemple permet de lutter contre l’évasion fiscale des particuliers. La taxe sur les transactions financières va bientôt devenir réalité, et ne demandera qu’à être progressivement améliorée. Mais il reste une bataille centrale à mener, comme l’a révélé, bien après nos mises en garde, le LuxLeaks : celle de l’impôt sur les sociétés. Les entreprises doivent s’acquitter de l’impôt sur les sociétés là où elles font des bénéfices.

L’arsenal juridique français est important contre les manipulations intragroupes, mais seule, la France ne peut lutter. La coopération européenne et internationale fait cruellement défaut : nous réclamons une transparence totale de la part des entreprises sur les informations concernant leurs filiales. Nous demandons avec force un ‘FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) européen’ qui permettrait, comme aux États-Unis, l’échange automatique d’informations sur les entreprises qui déplacent leurs bénéfices dans des entités pour échapper à l’impôt et qui aille au delà de ce qui vient d’être acté dans le cadre de l’OCDE.

Pour rétablir l’égalité devant l’impôt, nous proposons de :

  • refuser les avantages fiscaux aux transactions dépourvues d’utilité économique et sociale ;
  • harmoniser le droit pénal de l’évasion fiscale dans l’UE et développer les outils juridiques permettant une taxation adaptée des profits réalisés au sein de l’Union européenne par les géants du numérique (Google, Amazon, Facebook, Apple…) ;
  • imposer aux entreprises multinationales de transmettre au fisc une comptabilité et leurs effectifs pays par pays, avec la publication du montant des impôts payés et renforcer le pouvoir de contrôle des administrations fiscales sur les opérations internes aux groupes ;
  • promouvoir un agenda ambitieux dans les instances internationales (G20, G8, OCDE) et introduire l’objectif de bonne gouvernance fiscale dans tous les textes, nationaux et internationaux ;
  • instaurer l’échange automatique des informations fiscales avec les pays tiers, élaborer au niveau européen une liste noire des paradis fiscaux sur la base de critères plus stricts que ceux retenus par l’OCDE, et prendre des mesures communes de rétorsion ;
  • coordonner les politiques fiscales dans l’Union européenne pour empêcher la concurrence déloyale et sa conséquence directe, ‘l’optimisation fiscale’ ;
  • harmoniser les assiettes fiscales, de l’impôt sur les sociétés notamment, et créer un serpent fiscal pour les taux ;
  • négocier toutes les conventions fiscales avec les pays tiers au niveau européen et interdire toute forme d’accord particulier entre États et entreprises sur leur imposition. Le droit doit s’appliquer, le même pour tous ; il ne se négocie pas ;
  • obtenir la mise en œuvre de la directive sur le blanchiment de capitaux et la révision rapide de celle sur la fiscalité de l’épargne ;
  • retirer les licences bancaires des banques qui favorisent la fraude et l’évasion fiscale ;
  • taxer l’ensemble des transactions financières en incluant le lieu de résidence, y compris les produits dérivés, qui déséquilibrent l’économie, au lieu d’aider à son développement, comme les nuisances environnementales, pour dégager des ressources supplémentaires au service de la puissance publique européenne.

Et maintenant, l’Europe fiscale !

Pour sortir de la crise, l’outil fiscal est incontournable. Pour le bon fonctionnement du marché intérieur, l’harmonisation fiscale est nécessaire. Pour le rétablissement des comptes publics, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est indispensable. Pour en finir avec la concurrence autodestructrice que se livrent les États membres et dont les premières victimes sont la croissance, les finances publiques, la solidarité et les citoyens européens ; et parce que l’Europe, comme ses Etats membres ont plus que jamais besoin d’une fiscalité qui leur fournisse les ressources adéquates au financement des services publics, de la protection sociale et des investissements collectifs d’avenir, les eurodéputé-e-s socialistes et radicaux appellent aujourd’hui à une véritable Europe fiscale !